Peine, Larmes, Souffrances

Dis Weiss... Tu te souviens quand t'as cru être égoïste parce que tu ne nous avais pas dit quand tu te sentais mal ? Parce que tu voulais te jeter d'un toit et nous priver de ta présence ? Je t'avais dit que tu ne l'étais pas et je le pense toujours. Maintenant dis-moi, est-ce que c'est égoïste de ma part de vouloir vous garder toi et Dave rien que pour moi ? Est-ce que c'est de l'égoïsme que de vouloir vous empêcher de vous éloigner de moi même si je suis incapable de vous protéger comme il se doit ?

Cela fait déjà plusieurs jours que je passe la plus grande majorité de mes temps libres, le nez plongé dans mes révisions - ouais je révise même durant les vacances -. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour éviter de trop penser. Parce qu'en ce moment, je ne fais pratiquement que ça. Penser, penser et encore penser. Mon cerveau ne cesse de travailler, d'être torturé par des souvenirs qui me font douter de plein de choses. Est-ce que c'est de l'égoïsme de vouloir connaître autre chose que l'amitié par intérêt ? Dave c'est différent, je veux qu'il reste à mes côtés parce que c'est mon frère, il me connaît mieux que personne. Mais est-ce que c'est mal de vouloir que ma colocataire reste auprès de moi même en sachant que je ne peux pas la protéger ? En sachant que Naomi est beaucoup plus efficace que moi pour la sauver ? C'est quand même grâce à cette idiote qu'Edelweiss est encore en vie. Moi je n'ai servi à rien.

Et même avant ça ! Depuis l'enfance, je n'ai connu que le rejet et les relations par intérêt avant d'être mise aux oubliettes. Alors pour une fois que j'ai l'impression de réellement exister pour quelqu'un d'autre que mon frère, je ne veux pas la perdre. Pourtant j'ai de plus en plus la sensation que c'est ce qui est en train d'arriver. Elle voit souvent Naomi et dort même régulièrement chez elle. Je suis contente pour elle évidemment ! Elle a le droit d'avoir aussi son bonheur mais...quand je repense à tout ce qu'il s'est passé depuis que je connais ma colocataire, je commence sérieusement à me demander si elle n'est pas mieux sans moi... Celle qui l'a toujours le mieux protégée, c'est Naomi. Même si ça me fait mal de l'admettre, elle est bien meilleure que moi sur ce point-là. Moi je ne suis bonne qu'à avoir de bons bulletins, bricoler et dessiner... Et ça, je l'ai compris le jour où un couillon a fait joujou avec nos races et pouvoirs et qu'elles se tenaient la main. J'envie Weiss parce qu'elle vit quelque chose que je ne vivrai sans doute jamais. J'envie aussi Naomi parce que contrairement à moi, elle est capable de sauver sa petite-amie et de la protéger. Elles réussissent toutes les deux là où moi j'échoue.

Mes nuits sont devenues de moins en moins paisibles et agréables depuis ce jour. Et ces derniers temps, c'est de pire en pire. J'en suis même venue à prétexter aller voir mon frère pour x ou y raison alors qu'au fond, je vais juste squatter son lit certaines nuits, quand je me sens sur le point de craquer. Je ne veux pas que mon amie voit que ça ne va pas. Elle m'a toujours prise pour une personne forte alors qu'au fond je suis sans doute plus faible qu'elle. Alors je lui cache autant que possible mes problème. Elle n'a pas besoin de s'inquiéter. Elle a mis du temps pour se remettre d'aplomb, ce n'est pas le moment que je lui brise le moral avec mes problèmes.

Pourtant ce soir mon mal-être a été trop fort. Et Dave n'est pas chez lui. Il est parti pour les vacances. Je ne peux donc pas l'employer comme doudou. Instinctivement, je me suis quand même glissée dans le lit d'Edelweiss alors que je voulais lui cacher tout ça. Je n'ai pas réussi à aller contre mon désir de réconfort. Après m'être glissée sous sa couette, j'ai seulement passé un bras autour d'elle durant son sommeil en toute innocence, voulant être sûre de sentir sa présence, et je me suis endormie. Mon sommeil est agité, torturé par mes cauchemars qui me hantent depuis plusieurs nuits.

Ne me laisse pas Weiss. Tu me crois forte mais en vérité je ne le suis pas. Je ne suis qu'une personne qui refuse d'être seule mais qui est incapable d'avoir une réelle existence auprès des gens. Je ne suis qu'un objet utilisé pour approcher des personnes célèbres, avoir du fric puis jeté dès qu'on n'en a plus l'utilité. Au fond je veux être comme toi et savoir ce que c'est que d'avoir des parents qui ne souhaitent que le bonheur de leur enfant, découvrir aussi ce que c'est que ce truc qu'on appelle l'amour, avoir ce don que t'as pour allier même les pires ennemis. Je veux être comme Naomi qui a su t'apporter l'aide et le bonheur dont tu as besoin...

La nuit est difficile ce soir. Trop difficile. Je me suis sentie mal au point d'avoir besoin de me rassurer auprès de ma colocataire. J'ai profité de me pointer dans son lit pendant qu'elle dort. Ca m'évite les éventuelles questions auxquelles je ne veux pas répondre. Je ne veux pas l'inquiéter. Je préfère qu'elle pense que je suis venue par simple envie de dormir contre ma peluche vivante. Ca ne serait pas la première fois en plus.

Logée dans ses bras, j'ai réussi à trouver suffisamment de paix pour m'endormir. Une paix qui ne dure pas longtemps avant que les cauchemars reviennent me hanter. Mon sommeil est agité, mon étreinte autour de ma colocataire se fait légèrement plus serrée, quelques paroles incompréhensibles sortent de ma bouche. Ne me prenez pas Edelweiss. C'est mon amie...à moi. Trop de choses m'ont déjà été refusée. Je ne veux pas qu'on m'enlève ce que j'ai mis du temps à acquérir.

Je sens une légère pression se répéter mais ça ne suffit pas à me sortir de ma torpeur. Finalement c'est un son et quelques secousses qui mettent fin à mes songes. Une voix douce mais un réveil plutôt violent pour moi. Encore un peu dans mon cauchemar, mon corps a réagi tout seul sous la panique. Un sursaut, des paroles sorties non pas en hurlant mais pas en murmurant pour autant. Un ton qui aurait pu réveiller tout l'appartement si les seules personnes y vivant n'étaient pas déjà réveillées.

- Elle est à moi !

Pourquoi je n'ai pas le droit d'avoir une amie ? Pourquoi est-ce que je dois la partager ? Avec une personne pénible en plus... Pourquoi dès que j'ai enfin pu acquérir quelque chose, on me l'enlève ?

Je reprends doucement mes esprits en fixant ma colocataire. Elle a l'air inquiète. Merde... Ce n'est pas ce que je voulais ! Je ne peux pas lui dire que c'est juste un cauchemar. Elle n'est pas stupide, elle sait très bien que ce n'était pas un bon rêve. Je crains cependant les éventuelles questions qu'elle pourraient poser. Combien de temps encore arriverai-je à lui mentir ? Pas longtemps. Mais je ne veux pas lui révéler ce qui me préoccupe. Pas tout de suite. Le plus tard possible.

Mieux vaut qu'elle croit à un simple cauchemar sans importance. J'enfouis mon visage contre ma petite mascotte et la serre à nouveau comme une peluche. Elle est mon doudou. Elle est aussi ma chasseuse de cauchemars en temps normal. Puis dans un murmure, je laisse échapper une petite demande.

- Tu veux bien que j'reste ici pour le reste de la nuit...? J'veux pas dormir toute seule...

Je ne veux même pas retourner dans ma chambre... Je veux juste rester là, dans ses bras et sentir son parfum rassurant.

Je ne veux pas lâcher Edelweiss. Elle est mon seul moyen de ne pas sombrer dans une totale détresse. Même mon frère ne peut pas m'aider pour certaines choses. Il est aussi ignorant que moi sur plusieurs points et ce sont justement ceux-ci qui hantent mes nuits actuellement. Cette peur de la perdre me poursuit sans cesse, je n'arrive pas à lui échapper. La seule solution que j'ai trouvée pour essayer d'atténuer mes craintes, c'est de loger mon visage contre elle et de passer la nuit avec elle.

Je sens une légère étreinte se former autour de mon cou pour finir sur ma tête. Un contact apaisant qui me rappelle étrangement un autre. Non. Celui-ci est plus doux. Et il est réel. C'est celui de la véritable Edelweiss. Celui-ci ne fait pas partie d'un rêve que je peux régulièrement faire. Cette Weiss, je veux pouvoir la garder auprès de moi. J'ai déjà failli la perdre trop de fois. Quand on a été transformées en magicals girls, à Halloween, à sa tentative de suicide, et dernièrement en avril encore. Et maintenant Naomi aussi est un danger puisqu'elle pourrait me l'enlever sans problème. Je suis consciente de tout ça alors je veux pouvoir la garder contre moi aussi longtemps que possible.

- Je suis là, tu n'es pas toute seule...

Pas toute seule. J'aimerais bien. Cette sensation est présente depuis toujours. La présence de Dave et de ma colocataire me permet d'atténuer ça. Mais lorsqu'ils ne sont pas avec moi... Le fil de ma pensée est coupé par un contact légèrement humide sur mon front. Le genre de petit geste qui me ramène à la réalité. Le silence n'est pas brisé mais étrangement, il fait du bien. Je ne veux pas qu'elle me questionne sur mon cauchemar. Si elle le fait, est-ce que je serai capable de lui mentir sans me trahir ? J'en doute fort. L'art du mensonge ne fait pas partie de mes capacités. Et si je lui dis tout, ça va l'inquiéter. Il ne faut pas qu'elle m'interroge.

Je ferme les yeux pour profiter de ce moment de tendresse privilégié que je peux avoir avec elle. C'est agréable. J'ai l'impression qu'il fait plus chaud aussi. Maintenant que j'y pense, c'est vrai que j'ai toujours eu cette sensation quand je pouvais avoir mon amie dans les bras. Mes yeux se rouvrent lorsqu'elle reprend la parole. Elle s'excuse. Non. T'as pas à t'excuser, tu n'y peux rien ! C'est parfaitement normal de ne rien remarquer. Je ne sais pas mentir en parole mais en gestes c'est plus facile. Je n'ai rien montré, c'est normal de ne rien remarquer.

- Tout va bien, tu as le droit de ne pas être forte tout le temps... Tu as le droit de te sentir mal...

Mais ne me dis pas un truc pareil juste après m'avoir fait comprendre que je peux te parler de mes problèmes ! C'est un truc pour m'achever ! Je referme les yeux en serrant un peu plus l'étreinte autour de mon amie. Je retrouve un peu l'usage de la parole avec une petite voix.

- Non je n'en ai pas le droit. Comment ceux que j'aime peuvent compter sur moi si je ne suis pas forte ? Je n'ai déjà rien d'utile pour te protéger en cas de danger contrairement à Naomi alors si en plus je n'ai pas de mental d'acier, je ne pourrai pas t'encourager comme il faut.

Et si un jour elle souhaite vivre avec sa petite-amie, elle ne pourra pas avoir l'esprit tranquille si je ne suis pas suffisamment forte pour supporter le retour de la solitude complète. Un abandon que je crains terriblement. Mes doigts emprisonnent le tissu alors qu'une sensation oubliée refait surface. Il lui a suffit d'une simple phrase pour que tout se chamboule en moi. Pourquoi j'ai l'impression que mon coeur est lourd ? Pourquoi mon corps se met à trembler comme si quelque chose essayait de sortir sans jamais y parvenir ?

Des larmes commencent à couler alors que je garde mon visage caché contre ma colocataire. Une réaction oculaire qui n'était plus arrivée depuis des années. J'ai même oublié comment pleurer et pourtant, le poids est beaucoup trop lourd cette fois. On m'a enlevée le droit d'exister, de savoir ce que c'est l'amour autre que fraternel, d'être autr chose qu'un simple objet pour les gens. On m'a laissée l'occasion d'avoir de vrais amis qu'à deux ou trois reprises. Peut-être quatre ou cinq maximum. Le reste n'étaient que des faux-culs attirés par l'argent et la réputation. Et maintenant je suis en train de perdre petit à petit ces personnes qui me sont chères.

- J'sais comment gérer le fait de n'être qu'un objet aux yeux de mes géniteurs et de pratiquement tout mon entourage. Mais comment on fait pour retenir une amie qui s'éloigne sans en arriver à la séquestrer ou attirer sa pitié ? T'es la première vraie amie que j'ai et maintenant Naomi te vole à moi. J'sais qu'un jour vous vivrez ensemble. C'est certain ! Et moi j'me retrouverai à nouveau toute seule parce que j'suis pas assez égoïste pour t'empêcher d'avoir droit à ton bonheur. C'est pour ça que je n'ai pas le droit d'être faible. Si j'le suis, tu ne seras jamais heureuse et ça, ça me serait encore plus insupportable que n'importe quoi d'autre.

Comment on stoppe les larmes déjà ? J'aimerais tellement qu'un bouton puisse tout arrêter. Une simple pression dessus et hop, plus de larme. Plus besoin de renifler non plus. Et pourquoi pas un bouton qui puisse activer des trucs. Pour une handicapée sociale comme moi, ce serait plus qu'utile ne serait-ce que pour comprendre les sentiments, certaines émotions, quelques ressentis et j'en passe.

C'est trop dur. Je n’arrive pas à savoir ce que je dois faire, ni comment je dois m’y prendre. On me dit que j’ai le droit d’être faible mais je pense tout le contraire. Si je le suis, comment pourra-t-on encore compter sur moi ? Comment pourrai-je encore protéger ma colocataire et mon frère si je ne suis pas forte ? Je n’ai aucun pouvoir défensif ou offensif. Je ne peux qu’encourager ceux que j’aime mais comment suis-je censée le faire sans un mental d’acier ?

Les caresses cessent doucement puis je sens une étreinte autour de moi. Il a fallu un petit silence avant que je ne parvienne enfin à laisser couler ma peine. Serrer le vêtement de ma colocataire est un réflexe que je n’ai jamais eu. Ni même avec mon frère. Sauf peut-être lorsque nous étions des mômes hauts comme trois pommes parce qu’à ce moment-là, j’avais la larme facile. Puis en grandissant, j’ai appris que pleurer ne sert à rien. Que demander de l’affection est inutile. Que le seul moyen que j’ai pour ne plus souffrir, c’est de devenir forte.

L’étreinte se resserre alors que je me confie à mon amie, lui parlant d’une partie de ce qui me tracasse. C’est ma première véritable amie et pourtant je suis en train de la perdre. Je ne suis pas assez égoïste pour l’empêcher d’être heureuse. Ca me serait beaucoup trop insupportable de savoir qu’elle ne l’est pas. À choisir je préfère être seule et savoir que ma mascotte a droit à son bonheur plutôt que l’inverse.

Un nouveau silence s’installe durant quelques minutes alors que je garde mon emprise sur le tissu. J’essaie d’arrêter les larmes mais je n’y parviens pas. Je ne sais pas comment faire. Lorsque je sens l’étreinte se desserrer, mon emprise sur le tissu se referme encore un peu plus. Comme si j’avais peur que le relâchement d’Edelweiss veut dire qu’elle va s’en aller. Mais non. Elle ne part pas. Elle se contente seulement de me relever le visage face au sien. Elle a l’air de se sentir coupable. Hein ? Mais non ! Ne te sens pas coupable ! Pourquoi elle s’en veut ?! Et pourquoi elle est aussi proche de mes lèvres d’un seul coup ? Euh...Weissou je t’aime beaucoup mais t’as une petite-amie foldingue. Je ne veux pas que ce simple geste la mette dans la merde. Heureusement ça n’a été qu’un baiser sur le nez.

- C’est…

Non. Je ne peux pas lui demander de promettre une chose pareille. Sinon ça voudrait dire qu’elle restera auprès de moi seulement pour tenir sa promesse, même si elle ne veut plus la tenir. Je veux qu’elle reste parce qu’elle en a vraiment envie, pas à cause d’une fichue promesse.

- T’es plus forte que tu ne le crois.

Combien de personnes auraient décidé de quitter l’institution après tout ce qu’elle a subi ? Pourtant elle est restée. Elle en a encore subi d’autres mais elle est restée. Elle a même décidé d’aller à l’université. C’est grâce à elle aussi si Egon a pu entendre raison quand il a voulu zigouiller tout le monde.

- Ta force ne réside pas dans ton physique mais dans ta manière d’être. De nombreuses personnes ont changé grâce à toi. Et plusieurs personnes ont aussi été sauvées grâce à toi.

La preuve avec Egon lorsqu’il a décidé d’éliminer tout le monde. Il a suffi de lui parler d’Edelweiss et il a rapidement changé d’avis. J’essaie encore de calmer mes larmes mais c’est dur. J’affiche un petit sourire bien que le cœur n’y est pas, lui parlant encore sincèrement.

- Si t’avais pas été là, j’aurais sûrement déjà craqué depuis bien longtemps. Et peut-être même que je n’aurais jamais découvert ce que c’est qu’avoir une véritable amie au lieu d’avoir des vautours attirés par le fric et la réputation. Egon n’aurait sûrement jamais changé d’avis aussi quand il avait décidé de tuer les personnes présentes dans la salle où vous étiez. Il avait suffi de prononcer ton nom et il a changé d’avis. Il a même décidé de venir en personne.

Et puis elle aussi elle a des pouvoirs utiles même si la contre-partie est chiante. Elle peut soigner des gens et se régénérer, ce n’est pas rien ! Et il en faut de la force pour supporter tous les contre-coups qu’elle peut subir durant les soins. Naomi peut éjecter des gens contre des murs. Moi tout ce que je peux faire c’est voir une possibilité d’avenir et me taper les maux de tête qui suivent. C'est nul. Inutile. Ca ne sauve pas de vie sauf sur un coup de chance. Et même si j’avertis la personne concernée, ça peut autant la sauver que la tuer.

Je pose doucement ma tête sur la poitrine de ma colocataire, sans arrière-pensée. C’est apaisant de sentir son odeur et puis il faut admettre que c’est plus confortable qu’un coussin. Bref, ça me fait du bien d’avoir un contact avec mon amie, de pouvoir la serrer contre moi, entendre les battements de son coeur qui sont étonnamment plus apaisants qu’une musique.

- Dis Weiss… Qu’est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je n’arrive pas à combler la solitude qui me ronge ?

Même lorsque je suis entourée de monde physiquement, le sentiment ne me quitte pas un seul instant. Il est seulement atténuée lorsque ma colocataire est à mes côtés. Pareil lorsque c’est Ellie ou Ayiana même si pour le coup, il l’est moins qu’avec Edelweiss. Il s’atténue même lorsque je suis en présence de Naomi. Ca n’a l’air de rien mais me chamailler avec elle me donne l’impression d’être autre chose qu’un objet. D’être vivante. Comme lorsque je suis avec mes deux mascottes, mon frère et la panthère.

- Je croyais qu’en ayant enfin des gens qui ne me côtoient pas pour ma fortune, pour approcher mes géniteurs ou pour la réputation, ça disparaîtrait. Mais ça ne part pas. Ca reste encore ancré comme s’il manquait encore quelque chose mais je n’arrive pas à savoir quoi… Ca aurait pourtant dû disparaître grâce à toi, Ellie, Dave et Ayiana. Alors c’est quoi qui cloche ?

C’est pour ça que je ne voulais rien dire à ma colocataire, que je voulais garder pour moi, bien caché dans ma chambre. Je savais que ça l’inquiéterait et c’est tout ce que je voulais éviter. En plus elle perd sa confiance en elle-même. Déjà qu’elle n’en avait pas beaucoup… J’ai essayé de lui remonter le moral mais je ne suis pas sûre d’y être parvenue. C’est une situation qui pourrait prêter à rire d’ailleurs. Je déprime comme jamais et c’est pourtant moi qui m’occupe de remonter le moral de ma colocataire. Je suis venue contre elle parce que sa simple présence m’apaise mais qui aurait cru que je me retrouverais à essayer de la consoler ? C’est désespérant. Même lorsque je suis au plus mal, je n’arrive pas à être égoïste et ne penser qu’à moi. Je n’arrive pas à laisser mon amie aller mal alors qu’à la base je voulais aller mieux. Je lui donne le réconfort que je cherchais à avoir. Tellement de logique dans notre relation…

Je crois cependant que le réconfort que j’essaie de lui apporter jette juste un froid. Elle est devenue très silencieuse d’un seul coup. Je n’arrive pas à savoir si elle cherche comment dire les choses ou j’ai dit des trucs qu’il ne fallait pas. Le silence se prolonge jusqu’à ce qu’un mot sorte de sa bouche. Mon nom. Le ton utilisé m’inquiète toutefois. J’ai l’impression que quelque chose cloche mais je ne sais quoi. Je ne lui pose toutefois aucune question à ce sujet. Je sais qu’elle ne me dira rien. Alors à la place, je loge simplement mon visage contre sa poitrine pour la seconde fois de la nuit. J’ai alors droit à un câlin. Puis c’est le moment où je lui dis enfin ce qui me turlupine depuis tant de temps. Des questions que je me pose sans cesse sans trouver la moindre réponse.

Je sens alors un nouveau contact sous forme de caresses sans le moindre mot de ma colocataire. Elle non plus n’a pas la réponse à ma question ? Elle cherche une manière simple de me faire comprendre ce qui cloche chez moi ? Ou peut-être que la réponse me ferait encore plus souffrir et qu’elle préfère donc garder le silence. Ou alors ce genre de question n’a jamais de réponse tout court. Trop de théories se forment dans ma tête. Et puis finalement, après de longues minutes de silence trop intense pour moi et mon imagination, Edelweiss reprend enfin la parole. Des mots qui sont durs à entendre mais qui, malheureusement, sont on ne peut plus vrais. C’est exactement ce que j’ai fait durant tout ce temps.

- Être amoureux ?

J’ai déjà du mal à comprendre les subtilités d’une simple amitié et d’un amour familial. Alors si en plus il faut un autre amour pour se sentir mieux, je ne suis pas sortie de l’auberge. Et pas prête de voir cette solitude disparaître non plus…

- Toi t’es amoureuse et t’as des amis. Comment on fait la différence ?

Je ne bouge pas, gardant la tête posée sur sa poitrine à écouter son cœur battre. Pour elle c’est sans doute plus simple vu qu’elle connaît les deux. Pour moi, ça ne l’est pas du tout. Lorsque je vois des amoureux qui se bécotent sur un banc, pour moi ce sont juste deux personnes qui s’embrassent. À mes yeux, de simples amis peuvent le faire aussi. Au niveau du comportement, je n’y vois aucune différence mais c’est peut-être trop subtile pour moi. Après tout même lorsque j’observe Naomi et Weiss, je ne vois que deux filles qui se tiennent la main, se font des câlins, etc.

J’écoute très attentivement Edelweiss. Je veux savoir ce qui ne va pas chez moi et pourquoi je n’arrive pas à combler cette solitude alors que j’ai pourtant des personnes à qui je tiens. Elle songe à une théorie qui n’est pas bête. Peut-être que ce qu’il me manque, c’est de tester cette seule relation que je n’ai jamais connue. Ce sentiment que je n’ai jamais pu ressentir. Alors quand elle me fait part de son hypothèse, j’essaie bien évidemment d’en savoir plus sur le sujet. Je ne connais pas les différences entre un amour et une amitié. J’ai beau observer le monde durant mes balades, je ne vois aucune différence de comportement. Du coup je me dis que c’est sans doute plus subtile et invisible aux yeux de quelqu’un qui n’y connaît rien.

Encore une fois, ma question se heurte à un silence momentané. Je ne devrais pas avoir à les poser. Normalement c’est le genre de sujet que les parents expliquent à leur gosse, non ? Sauf que mes géniteurs ne l’ont jamais fait. Ils ne m’ont jamais parlé de ce genre de chose. Et là, je demande à mon amie de faire leur job. C’est un peu pathétique de ma part en fait. Après un instant de silence qui a dû être nécessaire à mon amie pour trouver ses mots, elle reprend la parole et tente de me faire comprendre les choses. Le désir de garder une personne avec soi, d’être avec elle et de partager diverses choses en plus de ne vouloir que son bien. Il y a encore quelques subtilités et je comprends mieux pourquoi je n’ai jamais vu de différence dans les rues. C’est...vraiment trop compliqué pour moi. Cependant avec tout ce qu’elle m’a dit, je commence à me demander si ce n’est pas ce que je ressens depuis un moment.

Je garde le silence quelques instants durant lesquels je réfléchis, je remets tout en place dans ma tête – du moins j’essaie – et...ben je profite toujours du confort sous ma tête. J’adore être avec elle et si je le pouvais, je la kidnapperais tout le temps pour ne pas la laisser aux mains de Naomi. Et quand j’y pense, en dehors de Dave c’est bien avec elle que je me suis toujours sentie mieux. Quand elle souffre, je souffre aussi alors j’essaie tout et n’importe quoi pour lui redonner le sourire. J’ai un lien avec elle aussi. Je ne sais pas trop comment le nommer mais il y a bien un lien. Je me dis que c’est ma petite mascotte et que c’est pour ça que j’aime autant la papouiller mais au fond, est-ce uniquement pour ça ? Okay je suis totalement embrouillée.

- Je t’aime Weiss…

Ca n’a pas l’air facile du tout d’expliquer des sentiments à quelqu’un et pourtant elle a quand même essayé. C’est bête mais rien que ça, ça me réchauffe le cœur. Tout ce que je souhaite depuis que j’ai appris le principe des vœux, c’est d’avoir le droit d’exister au moins pour une personne en plus de mon frère jumeau. Je crois que ce vœu s’est enfin réalisé. Au fond, depuis tout ce temps il n’y a qu’elle qui a su me comprendre. Et Dave...mais lui c’est mon jumeau, il me connaît depuis notre naissance, c’est normal. En dehors de la famille, il n’y a qu’Edelweiss qui sait ce que je peux vivre.

- T’es bien plus précieuse que tout l’or du monde.

Je serre mon étreinte autour d’elle avec un léger sourire. Je veux vraiment qu’elle ne reste qu’avec moi. Je suis même sûre que Naomi ne se rend même pas compte de la chance qu’elle a d’avoir Edelweiss pour elle. Elle est trop stupide pour remarquer un truc pareil.

Je ne pensais pas que l’amour était si compliqué à différencier. Pourtant ma colocataire a pris la peine d’essayer de m’expliquer comment reconnaître ce genre de sentiment. C’est encore flou pour moi mais si tous les symptômes qu’elle me dit me sont familiers, alors c’est que je suis amoureuse. Non ? J’aime beaucoup ma colocataire, je veux qu’elle reste auprès de moi. Une jalousie possessive qui s’est installée lorsqu’on a commencé à être amies et qui s’est accentuée lorsque Naomi est entrée dans sa vie. J’ai toujours été en rivalité avec cette blonde mais bizarrement, je le suis bien plus lorsqu’il s’agit du bonheur d’Edelweiss. J’aimerais être celle qui la rend heureuse mais en même temps, je ne me bats pas pour la reprendre à Naomi. Je commence sérieusement à regretter de ne pas lui avoir posé la question plus tôt. Si je l’avais fait avant qu’elle soit en couple, est-ce que j’aurais pu avoir une chance d’avoir ma colocataire rien que pour moi ? Est-ce que j’aurais quand même dû la partager avec quelqu’un d’autre ? Qu’est-ce qui aurait changé si je l’avais interrogée plus tôt ?

Je t’aime Weiss. Ce sont les mots que je lui ai dit mais ce qui me fait mal, c’est de l’avoir fait sans avoir la moindre idée de la portée qu’ils peuvent avoir. Ni de l’effet destructeur qui peut se cacher derrière. Je ne sais pas si ce que je ressens pour elle est vraiment de l’amour comme elle en a pour Naomi mais je m’accroche à ça. Je veux que ce soit ça. C’est la première fois que j’ai la sensation de réellement exister pour quelqu’un d’autre que mon jumeau. J’ai peur de perdre cette chaleur procurée si cette existence n’est qu’une illusion. Si ce que je ressens pour Edelweiss n’est pas de l’amour mais seulement une amitié très forte à la limite du fusionnel. Et puis mes paroles sont sincères. Je l’aime, elle m’est vraiment plus précieuse que tout ce qui peut exister dans ce monde.

Je suis aussi très précieuse pour elle. Ca fait du bien d’entendre ces mots. C’est réchauffant. Ca me redonne envie d’être la fille un peu fofolle, bizarre, trop spontanée, trop énergique devant les autres. Puis sa réponse me surprend mais me chauffe encore plus le cœur. Que ce soit en simple amitié ou en amour, j’ai toujours rêvé qu’on me dise qu’on m’aime. Et là, c’est la première fois qu’elle me le dit. Ou la deuxième… J’ai toujours l’impression que le soir où je l’ai invitée chez mes géniteurs et qu’on a bu, elle m’a dit quelque chose d’important. Le problème c’est que je ne me souviens pas de ce que ça peut être. Par contre elle m’inquiète maintenant.

- P-Pourquoi ?

Pourquoi est-elle désolée ? Elle n’a rien fait de mal pourtant. Au contraire, je me commence à me sentir mieux. Enfin jusqu’à la sentir aller mal. Maintenant je vais à nouveau mal. Je lève un peu la tête pour la regarder, un air très inquiet sur le visage. Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi n’est-elle pas bien d’un seul coup ?

- Qu’est-ce que tu as Weissou ?

Est-ce que je l’ai blessée en lui disant que je l’aimais ? Si c’est ça alors je ne le dirai plus jamais. Je ne voulais pas la rendre malheureuse. Restant installée sur elle, le regard posé sur son visage, l’une de mes mains vient attraper celle qu’elle a posé sur ses yeux.

- Tu peux tout me dire, tu le sais. Peu importe ce que c’est, j’resterai toujours auprès de toi. J’veux juste que tu sois heureuse alors si j’peux aider, n’hésite pas j’suis toujours disponible pour toi.

C’est trop inquiétant. Pourquoi elle s’excuse d’un seul coup ? Pourquoi elle se cache les yeux ? Elle veut pleurer, je le sens mais je n’arrive pas à savoir pourquoi et je n’aime pas ça. Je ne veux pas qu’elle soit malheureuse que ce soit à cause de moi ou de qui que ce soit d’autre. Je l’observe tout en lui parlant, essayant de lui tirer les vers du nez. Je crois que j’en suis à un stade où elle peut me dire les trucs les plus blessants que ça m’irait quand même tant que je peux l’aider à aller mieux. C’est à cause de Naomi ? Elle la rend malheureuse ? J’espère pour elle que ce n’est pas le cas sinon je la dézingue. Cette idiote peut déjà s’estimer heureuse que je lui laisse ma colocataire. Ca ne me plaît pas mais si c’est pour le bien de mon amie, je n’ai pas le choix de l’accepter.

Désolée parce qu’elle a envie de m’embrasser. Ah ! Oui effectivement ça pose un problème. Pas pour moi parce que techniquement si elle veut le faire, je ne suis pas contre. Cependant ça reste un souci pour elle. Je l’ai déjà stoppée tout à l’heure parce que je refuse de la laisser se foutre dans la merde. Si j’accepte maintenant, ça ferait un peu con. D’un autre côté, on peut embrasser quelqu’un sans tromper son partenaire. Il suffit que ce ne soit ni sur les lèvres, ni sur une zone interdite. Est-ce qu’elle se sentira mieux si je la laisse faire ? Moi oui, c’est sûr. Mais elle…j’ai quelques doutes.

- Et moi j’ai envie d’un bisou. Sauf que j’veux pas te mettre dans la merde alors j’ai une solution. J’te laisse m’embrasser où tu veux mais on évite les lèvres. Comme ça, tu ne tromperas pas celle qui occupe la première place dans ton cœur et moi j’aurai eu mon baiser et j’irai mieux.

Et je ne me ferai pas d’illusion par rapport à la relation même si je ne m’en fais déjà pas depuis longtemps. Je m’en suis faite pour des amitiés et pour d’autres trucs mais jamais pour la relation entre ma colocataire et moi. Je ne sais pas si ma solution peut convenir à mon amie mais au moins, c’est une idée comme une autre.

- Edelweiss… Peu importe le choix que tu fais, j’serai toujours avec toi.

Je m’agenouille au-dessus d’elle et la fixe avec un petit sourire. Si ce qui l’inquiète c’est que ça change entre nous, il faut que je la rassure. Je veux la garder que pour moi mais je sais qu’elle ne laissera pas tomber Naomi et je ne lui demanderai jamais de le faire. Tout ce que je veux, c’est qu’elle soit heureuse, épanouie et qu’elle ne m’efface pas de sa vie.

- J’sais déjà que j’dois te laisser à Naomi, j’suis pas stupide. J't'imposerai jamais de faire un choix que tu regretteras, j'tiens beaucoup trop à toi pour oser faire un coup pareil. Sache juste que j’resterai ton amie, j’te soutiendrai toujours et s’il te faut de l’aide, j’ferai mon maximum pour t’en apporter. J’veux juste pas sortir de ta vie et avoir le droit d’agir comme d’habitude avec toi. Y a qu’avec toi que j’peux être totalement moi-même sans être jugée et t’es la seule qui me comprends.

Je me penche sur elle et lui embrasse tendrement la joue en souriant. Je ne veux pas qu’elle soit embarrassée alors quoi qu’elle choisisse, je veux qu’elle puisse le faire en toute sérénité. Qu’elle n’ait pas besoin de se retenir par crainte de blesser quelqu’un. Je ne la laisserai pas faire des choix qu’elle regrettera. Elle compte beaucoup trop pour moi. Son bonheur passe avant le mien même si ça veut dire que je vais surveiller la blondasse de près, la maudire de toute mon âme et espérer qu’elle crève pour que je puisse enfin avoir mon trésor à moi.