Nous étions un samedi matin. Presque à l’heure de midi à vrai dire. Selon mes coutumes, et parce que je n’avais pas la volonté de faire autre chose, j’avais fait la grasse matinée jusqu'à ce qu’un surveillant vienne me chercher et me prie de sortir profiter du soleil. Non seulement il ne me laissa pas d’autre choix que d’accepter mais en plus il veilla à ce que je sorte réellement. Passablement énervée par cette personne tenace, je sortie donc à contrecœur habillée en tenue de sport. Si je devais sortir, autant que ce soit pour faire un peu d’exercice. Mais juste un peu.
Étais-je encore bien fatiguée ? Ou avais-je simplement la flemme de me dépenser plus que cela ? Quelle que soit la raison, cela ne changea rien au fait que je ne fit même pas 400 mètres de course modérée avant de m’asseoir sur le banc le plus proche. Je n’étais pas spécialement essoufflée, mais je ne voulais juste plus bouger, la tête pleine de souvenirs récents. Par exemple, le cours devant nous apprendre quelle “race” était la nôtre. Je n'y étais plus retourné depuis que j’avais fait une crise de panique, les mains pleines de sang, alors que j’avais voulu sauver Edelweiss…
*Mais que m’est-il arrivé au juste ? * me demandai-je en regardant mes mains désormais propres.
Y réfléchir me mettait très mal à l’aise, mais je n’avais pas grand chose d’autre à faire…
Totalement prise par mes pensées, et surtout mon envie de comprendre ce qui avait bien pu se passer, je ne vis pas le temps passer. Je ne fis pas non plus attention à ce qui m’entourait, ignorant ainsi les regards qui se posaient sur ma personne, les murmures qui pouvaient s’ensuivre pour ceux qui m’avaient aperçue d’une façon ou d’une autre… C’était certainement mieux ainsi. Cela m’évitait sans doute de m’attirer de nouveaux ennuis, même si je n’étais pas sûre que rester dans cette école soit une bonne chose pour moi. Mais ça, ce n’était qu’une impression personnelle, certainement pas partagée par les personnes m’ayant invitées là.
Sentant que tout cela ne me menait absolument à rien, je finis par abandonner en poussant un soupir. Que pouvais-je faire de plus, de toute façon ? Forcer ne me mènerait à rien. C’était ce que je pensais, portée par l’envie de retrouver mon confort, lorsque j’entendis un chant très proche. N’étant clairement pas émis par un humain, à moins qu’on ait voulu me faire une farce de mauvais goût, je me permis de me tourner dans la direction où je l’entendais. Je découvris alors l’oiseau au plumage magnifique qui avait eu le plaisir de se donner en spectacle au cours des “races”. Encore attendrie par son comportement d’alors, j’eue envie de le caresser, mais quelque chose m’en empêcha. Une présence plus exactement. Celle de sa propriétaire.
En la voyant, mon expression se rembrunit sans attendre. Je ne comprenais pas sa présence par ici, et encore moins la raison pour laquelle elle s’approcha de moi. Le devais-je à son animal à mes côtés ? Sans doute était-ce cela, même si c’était quelque peu déplaisant. Et même si c’était déplaisant à dire ou à penser, je ne pouvais faire autrement. Surtout quand mes pensées s’arrêtèrent sur ce qui m’avait rendue ainsi.
Lorsqu’elle me salua, s’approchant de moi, je lui répondis d’un signe de tête, ma voix ne répondant pas. Cela fit bouger mes lèvres pendant ce geste d’une façon que je trouvais si ridicule que je détournai la tête. De toute façon, je n’avais pas vraiment envie de regarder la nouvelle venue. Cela voudrait dire que j’acceptais sa présence, ce qui était loin d’être le cas. C’est donc un genoux ramené contre ma poitrine, le regard sur le paysage qui nous faisait face, que je l’écoutai me demander si elle pouvait s’asseoir à mes côtés. Haussant les épaules, je lui répondis en restant fidèle à moi-même, froide :
- Le banc m’appartient pas. Si tu veux t’asseoir, fais-le. J'ai pas d’autorisation à te donner.
Il n’était cependant pas dit que je reste si elle le faisait. Je ne savais même pas si je le ferais réellement, mettant la décision sur la distance qu’elle mettrait entre nous.
Apparemment pas déconcertée ou mécontente de ma réponse, la prenant certainement pour une autorisation, la jeune femme aux cheveux dorés vint me rejoindre sur le banc. Fort heureusement, elle laissa un espace assez grand pour que je ne me sente pas vraiment gênée par sa présence. Enfin, je devais bien avouer que je préférais être seule que ressentir une personne proche de moi, m’obligeant à rester plus sur mes gardes qu’à l’accoutumée.
Ne souhaitant pas lui faire croire que je m’intéressais à elle, même si je pensais pas mal à ce qu’il s’était passé le jour de notre rencontre, en cours. Elle avait failli mourir, bon sang ! Mais non. Il ne fallait pas que cela me touche autant. Il en coûtait ma propre santé mentale. Je regardais donc devant moi en essayant de trouver un autre de sujet de réflexion. En vain malheureusement.
Après avoir brièvement entendu des bruits, comme si on fouillait un sac ou des poches, ce fut la voix de la jeune femme qui s’éleva alors qu’elle déclarait ne pas vouloir me déranger. Surprise, je tournai la tête vers elle avant de poser mon regard sur l’oiseau comme pour lui demander ce qu’elle avait tout d’un coup. Je ne comprenais pas trop, mais ne fis pas part de mon trouble. Au lieu de ça, je demandai simplement avec un air plus désintéressé qu’il l’était réellement :
- Tu devrais pas plutôt te reposer après c’qu’il s’est passé ?
Le silence fut ma seule réponse pendant un instant. J’étais prête à l’accepter, même si je devais bien avouer que cela m’énervait un peu de voir que j’avais raison de ne pas vouloir socialiser avec les autres. Pourquoi autant ? Au fond, ce n’était pas comme si j’avais la volonté d’avoir tort. Pourtant, quelque chose me disait que je regrettais presque la compagnie d’autrui. A cause de cela, je ne sus pas vraiment quoi penser lorsqu’elle me répondit enfin, me faisant part que son oiseau avait envie de sortir. Oui, cela se tenait debout. Alors n’était qu’un hasard qu’ils soient arrivés jusqu’à moi ? Ou bien… Non. C’était un hasard. Ni plus, ni moins.
Comme mon interlocutrice n’en dit pas plus, je ne continuai pas non plus une conversation que je jugeais sans queue, ni tête. Mon regard se porta donc à l’oiseau qui n’avait pas bougé. Je pouvais le toucher, hein ? On ne m’en voudrait pas pour si peu ? Je n’eus pas le temps de faire un choix puisque sa propriétaire me demanda en retour comment j’allais. D’abord, je ne compris pas : je n’avais pas été blessée, moi. Je compris donc assez rapidement qu’il s’agissait sans doute d’une politesse à laquelle je répondis en haussant les épaules :
- Comme une élève “normale” et en bonne santé.
Frustrée et légèrement angoissée étaient les mots qui, pour moi, définissaient le mot “normal” que j’avais utilisé exprès.
Cette fois, je n’eus absolument aucune réponse. Pourquoi avais-je répondu ? Pourquoi avais-je fait des efforts inutiles ? Sentant la colère monter en moi, sans doute contre moi entre autres, mon expression se ferma. Je me maudis alors d’avoir un seul instant pensé que quelque chose pourrait changer seulement parce que je me trouvais dans un nouvel environnement. Je n’étais vraiment qu’une simple idiote !
Enfermée dans mes pensée comme je l’étais, une fois encore, je n’entendais plus ce qu’il se passait autour de moi. C’était ma façon de me protéger lorsque je n’avais pas mon ordinateur ou mon portable sous la main, les deux étant encore dans ma chambre. Pourtant, un son me parvint. Un magnifique son que j’aimais beaucoup : le chant d’un oiseau proche de moi. Ne voulant pas l’effrayer, je bougeai avec lenteur pour le regarder, m’obligeant à faire face à Edelweiss. Je remarquai alors qu’il s’était rapproché de moi, ce qui eut pour effet de me faire sourire très discrètement. Une personne ne me connaissant pas ne pourrait pas deviner que c’était réellement le cas.
*Si seulement je pouvais comprendre le langage des animaux…* pensais-je avec tristesse.
Leur compagnie m’était bien plus agréable que celle des hommes beaucoup trop vaniteux et méchants. Je faisais malheureusement partie de cette communauté. Je me considérais donc comme étant vaniteuse et méchante, me facilitant la tâche pour rester froide avec mes paires.
Même si je me sentais totalement mauvaise, j’avais envie d’être autrement avec les êtres purs tels que cet oiseau à mes côtés. C’est d’ailleurs ce qui me donnait tant envie de le caresser. Mais comment m’y prendre ? N’allait-il pas avoir peur ? N’allait-il pas se poser des questions sur mes intention et s’enfuir ? C’était ce que ferait tout animal peu habitué à être en relation avec un étranger, ce que j’étais au final. Et sa propriétaire, même si elle lisait, autoriserait-elle ce genre de geste ? Non. Sans doute que non.
Voyant que du négatif dans mon envie, qui allait sans doute se terminer par un fail total, j’étais prête à me résoudre à l’abandonner. Pourtant, en voyant le petit être chanter joyeusement et sautiller, je ne le pus. Sa posture était comme une invitation irrésistible. Alors, doucement, sans geste brusque, je tendis ma main, mon indexe prêt à toucher délicatement le plumage vert du compagnon d’Edelweiss. Je devais bien avouer que je n’étais pas très à l’aise. Mais, lorsque je parvins à enfin assouvir cette envie presque interdite, je sentis mon coeur se gonfler de joie. Je fis mine de rien, mais j’étais réellement contente qu’il m’ait laissée faire malgré ma possible maladresse.
Pendant ce moment, je ne fis plus du tout à l’humaine face à moi. A quoi bon puisque nous ne parvenions pas à parler. Finalement, les seules choses qui nous liaient étaient un oiseau et des souvenirs.
Alors que je caressait le doux plumage de l’oiseau, ce dernier visiblement ravi de recevoir de l’attention, j'entendis Edelweiss émettre un petit cri de gêne. Je l’avais également aperçue du coin de l’œil se tendre. Je n’y fis cependant pas plus attention que cela, ne voulant pas croire qu’il y ait un lien plus profond que je l’imaginais entre la jeune fille et l’oiseau. Ce n’était pas possible, après tout.
Le silence semblait s’éterniser malgré tout, me donnant l’irrésistible envie de m’en aller. Pourtant, la voix de ma camarade s’éleva à nouveau, plus posée, pour me déclarer qu'elle voulait me remercier d’avoir essayé de l’aider lors du cours de “races”. Cela me fit froncer les sourcils alors que je pensais que j’aurais préféré qu'elle n’en sache rien. Cela aurait sans doute été plus simple pour moi.
Il me fallut un moment de réflexion, continuant de caresser l’être au plumage vert pour garder mon calme, avant de pouvoir répondre sur un ton neutre, quoique légèrement froid :
- Je n’ai rien fait de plus que me précipiter sur toi sans savoir quoi faire. C’est à peine si j'ai été utile. Alors, arrête ton char et va plutôt remercier Léandre.
Lui, au moins, avait été utile. Mais je ne voulais pas continuer sur ma lancée. Il manquerait plus que j'en vienne à parler de ce qui m’était arrivé, si tant est que je parvienne à comprendre. Non, pas question d’en parler !