HistoireFamilleCullen Ruthenford, père adoptif : Cullen a pris soin d'elle depuis son arrivée à S'Indarë jusqu'à décembre dernier. Sa relation avec lui est assez mitigée, elle le voit autant comme un père que comme un geôlier, étant donné qu'il était chargé de veiller sur elle autant que de l'empêcher de sortir.
L'origine d'Aglaé est inconnue. Elle ignore tout, du nom de ses parents à leur race, même si elle suppose qu'ils sont humains. Car qui d'autre qu'un humain ignorant la nature de Sin aurait pu faire ce qu'ils ont fait ?
Elle a été abandonnée lorsqu'elle avait deux ans, elle l'a toujours su, et ses sentiments pour ses parents biologiques valsent de l'indifférence à la haine, selon les jours, selon l'état dans lequel elle se retrouve à cause de sa race. Car c'est de leur faute. Elle les estime responsables de la mort qui la poursuit inlassablement depuis qu'elle est devenue spiderqueen. Injuste ? Pas vraiment. Car ce sont eux qui l'ont condamnée, eux qui l'ont déposée, ce jour-là, à Sin. Mais contrairement aux gens un peu prévoyants qui laissent leurs enfants à la police ou à un orphelinat, ou même simplement devant les grilles de l'école, ils sont arrivés à la sortie des cours, et ils l'ont l'aisée dans la cohue des élèves, avec un sac contenant quelques affaires. Rien de plus. La désorientation de la petite a fait le reste, elle a franchi les grilles à l'instant où un surveillant la repérait.
C'est une enfant normale qui s'est effondrée dès que la zone l'a atteinte, c'est une petite fille beaucoup trop inhumaine qui s'est réveillée trois jours plus tard. Son corps, en la faisant perdre connaissance, lui a épargné la douleur de la transformation. Celle des quatre bras qui lui ont poussé dans le dos, des yeux qui se sont ouverts au-dessus des premiers, et de tous les nerfs qui se connectaient lentement à ces nouveaux membres.
Quand elle ouvrit les yeux, elle en avait cinq. On l'avait logée dans une des salles d'hibernation, en attendant de voir si elle allait se réveiller, et en attendant de trouver quoi faire d'elle. Une enfant araignée, une enfant avec un pouvoir, ce qui était déjà rare, et ce qu'on essayait d'éviter à tout prix. Trop dangereux. Mais elle était là, et c'était désormais trop tard pour faire machine arrière.
Après débat entre la police magique et la direction de l'école, il fut décidé que l'orpheline resterait à S'Indarë, comme pupille de l'école, et que le personnel ferait en sorte qu'elle maîtrise sa magie dès lors que toutes ses capacités auraient été trouvées. L'un des professeurs de l'école se proposa pour prendre soin d'elle, pour donner une famille à cette enfant qui ne connaissait que son prénom, et la petite Aglaé devint Aglaé Ruthenford, fille adoptive du prof de biologie et ombre de l'école, au même titre que l'enfant-renard qui hantait déjà ses murs.
Any et Aglaé sont devenues amies par défaut, malgré leurs trois ans de différence d'âge, la première prenant la seconde sous son aile comme une grande sœur. Elles étaient les seules enfants dans l'enceinte de S'Indarë, devant se tenir (officiellement du moins) à distance du lycée, cloîtrée dans les quartiers du personnel. Elles sont encore assez proches malgré les différences qui les séparent, un peu comme deux sœurs éloignées par la force des choses. Any est sa partenaire de jeu, peu importe le temps qui passe, elle gardera une place dans son cœur.
Avec une amie, un père et un quotidien vivable malgré son apparence, Aglaé aurait pu avoir une enfance heureuse. Parfaite, même. Mais c'était sans compter la race qui lui collait à la peau. Très vite, on découvrit que les changements physiques n'étaient pas la seule chose qui la caractérisait. Sa première mort eu lieu quand elle avait deux ans et demi. Trop intrépide, elle décida de tenter l'ascension d'un escalier escarpé avec Any, essayant de suivre son exemple. Elle aurait pu simplement glisser et se faire mal, mais sa malédiction raciale avait frappé. La faucheuse y vit une opportunité. L'enfant ripa bien sur une marche, mais sa chute fut tout sauf bénigne. Sa nuque percuta de plein fouet l'angle d'une marche, se tordant dans un angle improbable. Et avant qu'Any ait fini de crier, une Aglaé bien vivante et en pleine forme était de retour en haut de l'escalier.
Les deux filles n'en parlèrent à personne. Elles savaient qu'elles n'avaient absolument pas le droit d'être où elles étaient et elles décidèrent de garder le secret sur cette étrange scène. Elle mourut une deuxième fois le lendemain, sous les yeux de son père, terrassée par la chute d'un cadre qui n'avait jamais ne serait-ce que tremblé avant ce jour. Les décès se succédèrent, malgré tous les efforts et toutes les précautions prises par le personnel de l'école. Aucune ne fut jamais définitive, chacune d'elle étant assez subite pour qu'un retour de deux minutes en arrière suffise à l'épargner, mais elles restaient éprouvantes. Son père en conçut de nombreuses angoisses, devenant très protecteur, là où Any essayait en vain de la sauver quand cela arrivait devant elle.
Et puis il y eut l'Accident.
Aglaé avait six ans. Elle était sortie de l'enceinte de l'école en douce avec Any, grâce à leurs capacités raciales qui leur permirent de se faufiler dehors. Elles n'avaient pas l'intention d'aller loin, juste de trouver un endroit où jouer. Aglaé avait caché ses bras sous un pull large, et portait un bandeau sur ses yeux supplémentaires. Any, elle, avait vissé un bonnet sur ses oreilles et caché sa queue dans un jean. Elles avaient l'air parfaitement humaines, et des garçons vinrent les embêter dans le parc de jeux qu'elles avaient trouvé. Ils voulaient simplement jouer, et aucune des deux ne s'inquiétait d'autre chose que d'une probable mort d'Aglaé, ou qu'ils lui retirent son bandeau. Mais alors qu'ils jouaient, la petite poussa l'un des garçons, au moment exact où sa malédiction allait la frapper. Il glissa. Et sans que personne ne comprenne pourquoi, ce fut lui qui subit l'accident qui aurait dû toucher la fillette.
Le regarde de la mort fut détourné de sa cible. Un bruit sec, et l'une des barres de fer composant les jeux du parc se décrocha sans préavis, sans raison. Elle tomba sur la tête du garçon et il mourut sur les coup. Les trois enfants restèrent sous le choc, Aglaé plus encore que les autres, jusqu'à ce que l'un d'eux ne brise cet était e pause en hurlant. Dès ce moment, ils se réveillèrent. Any s'enfuit avec Aglaé, laissant son double en compagnie du garçon survivant, pour éviter que la police ne retire le sweat de la fillette et ne découvre sa nature.
La petite renarde cacha la présence de son amie ce jour-là. La police relâcha les deux enfants après avoir conclu qu'il s'agissait d'un accident et la plainte des parents fut déposée contre les propriétaires du parc pour mauvais entretien. Mais Aglaé restait rongée par la culpabilité. À tel point qu'il lui fallut une semaine pour réaliser qu'elle ne mourait plus.
Malgré les réticences de son amie, la petite araignée finit par parler de la situation à son père. Le garçon mort dans un accident censé la tuer elle, et le fait qu'il ne lui était plus rien arrivé depuis. Rien ne permettait d'y voir un lien, mais la coïncidence était troublante. Les membres de l'administration se réunirent pour y réfléchir, sans révéler cette affaire. Ils craignaient qu'Aglaé soit qualifiée de classe L à cause de l'incident.
Cette vie normale ne dura qu'un mois. Ensuite, les accidents revinrent, et elle recommença à mourir sans que rien ne puisse l'empêcher. Personne n'osait mentionner le fait que la clef de sa survie semblait être de détourner l'accident sur quelqu'un d'autre : l'idée leur semblait trop horrifiante pour être ne serait-ce que suggérée. Sacrifier une personne mortelle pour sauver une immortelle pendant un simple mois ? Hors de question. Ils n'en parlèrent jamais à la fillette, mais elle y réfléchissait de son côté et elle arriva, à force, à la même conclusion.
Sauf qu'elle ne voulait tuer personne.
Elle se résigna à mourir indéfiniment, profitant du mieux possible des jours de répits où la mort ne la suivait pas à la trace. Au début de ses années de "primaire", elle maintint un train de vie relatif, scolarisée à domicile du fait de sa nature, et elle refusa de quitter l'école de peur de causer un autre accident. Son comportement commença à changer quand Any entra au collège. Même si elle était consciente des risques liés à sa race, Aglaé commençait à ressentir de plus en plus le poids de l'injustice, à voir Any se déplacer librement hors des murs. Elle apprit à cacher ses bras et ses yeux de plus en plus efficacement, dans l'espoir qu'Andrew et les autres la laisseraient sortir une fois de temps en temps. Mais c'était trop dangereux. Trop risqué. Et ce qu'elle comprit, elle, c'était qu'elle était trop maudite.
La petite Aglaé supportait de moins en moins bien l'isolement qui commençait à s'installer autour d'elle. Sans son amie à ses côtés, l'ennui commençait à lui laisser de plus en plus de temps pour réfléchir à sa situation. Elle ne voulait plus mourir, mais elle ne voulait pas tuer qui que ce soit. Elle commença à expérimenter les limites de sa malédiction.
Entre ses neuf et ses dix ans, elle testa le potentiel de détournement sur des insectes et des araignées. Surtout ces dernières, vu qu'elle partageait beaucoup avec elle. Mais quoi qu'elle fasse, la mort d'une araignée ne lui procurait pas d'instants de répit, et ne lui évitait aucun accident. Elle aurait pu s'arrêter là, renoncer et accepter sa condamnation, mais les morts quotidiennes rongeaient peu à peu ses nerfs. Et elle ne pouvait pas aller à l'école ailleurs qu'à S'Indarë. Alors elle continua.
Quand Any revint à S'Indarë pour commencer le lycée, les expériences d'Aglaé avaient atteint un autre stade. Elle avait passé l'année précédente à tester d'autres animaux, petits d'abord, puis de plus en plus grands. Quand Any la surprit à tenter de détourner un accident sur un chat, elle prit peur, et elle en parla à Andrew et au père d'Aglaé. Aucun d'eux n'avait remarqué les petites expérimentations morbides de la fillette, qui gardait la même attitude le reste du temps, et ils furent tous sous le choc en voyant qu'elle était prête à sacrifier des vies pour essayer d'échapper à la mort. L'image d’innocence qu'ils avaient d'elle souffrit fortement de cette découverte.
Mais elle, de son côté, souffrait surtout de l'échec de ses tentatives. Quoiqu'elle fasse, aucun accident auquel elle échappait parfois ne détournait l'attention de la mort aussi longtemps que le premier, le petit garçon du parc. Mais certains animaux la sauvaient pendant quelques jours, quelques semaines. Elle s'en contenta un temps. C'était mieux que rien, et elle ne voulait pas être responsable de la mort d'un être humain pour un mois de tranquillité. Elle trouva des ruses et des subterfuges pour échapper à la vigilance des adultes assez longtemps pour piéger de nouvelles cibles, continua de prendre des notes, remplit carnet après carnet de ses observations et de ses théories, déterminée à cerner la malédiction qui pesait sur sa race. Avec le temps, elle apprit que les cibles piégées dans ses toiles qui mourraient dans un accident ou un choc contribuaient à la libérer de sa malédiction, elle découvrit aussi qu'elle n'avait pas besoin de détourner des accidents : tuer suffisait. Et ça lui simplifiait amplement la tâche.
Quand est-ce qu'elle dérapa ? Elle ne s'en souvient plus elle-même. Un jour, devoir tuer toutes les semaines, voire plus souvent, un animal pour se libérer de la mort commença à l'ennuyer. Lui peser. Et elle voyait de plus en plus de choses lui témoignant de l'arachnophobie latente de l'humanité. L'enfant qu'elle était encore interpréta à sa manière : les gens auraient peur d'elle, quoi qu'elle fasse, à cause de ce qu'elle était. Ce fut le déclic qui mit fin à ses remords. Un peu avant ses treize ans, carnet sous le bras, Aglaé se faufila en dehors de l'école à la recherche d'une proie.
Ce qu'elle vit ce jour-là suffit à ancrer cette certitude dans son esprit : personne ne l'aimerait telle qu'elle était. Les gens avaient peur d'elle. Elle n'avait même pas eu besoin de menacer cette fille pour qu'elle soit terrifiée, il lui avait suffit de la voir, de croiser son regard. Une toile s'était refermée sur une jambe qui cherchait à fuir, l'engluant à Aglaé plus sûrement qu'une chaîne. Une autre la colla au sol, une troisième la contraignit au silence. Pendant un long moment, la fillette contempla cette humaine qui avait eu peur rien qu'en l'apercevant. Comme tous les autres après elle, songea-t-elle. Puis elle se pencha sur elle, sortit un couteau, et attendit. Ce fut seulement quand le moment lui sembla bon, quand il lui sembla percevoir l’œil de la mort par-dessus son épaule, qu'elle planta la lame directement dans le cœur de la fille. Ensuite de quoi, elle l'emmaillota dans un cocon de toile et la tira derrière elle jusqu'à un cimetière proche, pour l'enterrer.
Ne laisser aucune trace.
Et pendant un mois, elle ne mourut plus.
L'étrange absence de sa malédiction attira l'attention de son père, d'autant plus quand il vit passer aux informations l'histoire de la disparition d'une jeune fille en pleine nuit. Mais il n'eut aucun moyen de faire le lien, et Aglaé niait tout en bloc, innocence même. Pour la forme, et pour l'illusion, elle laissa traîner près de la résidence le cadavre d'un oiseau qu'elle avait englué dans une toile, pour qu'il pense qu'elle avait continué, sans s'en être pris à un être humain. Il la crut. Et il n'eut pas l'occasion de se poser la question une seconde fois.
Son escapade en ville avait été grisante, mais pas facile à reproduire. Aglaé ne pouvait se permettre de sortir tous les mois à la recherche d'une nouvelle victime, alors elle se contentait, dans l'entre-deux, des oiseaux et rongeurs qui faisaient l'erreur de s'aventurer près de chez elle. Une fois, l'un de ces petits animaux lui accorda un mois de survie, et elle compris qu'elle avait en fait tué une personne pouvant se transformer. Paniquée à l'idée d'avoir tué un élève et donc potentiellement attiré l'attention d'Andrew, elle disparut plusieurs heures en tenant de se débarrasser des preuves. Quand elle revint, ce fut pour voir des menottes se refermer sur les poignets de son père. Harcèlement de mineurs. Elle le regarda se faire emmener avec des yeux écarquillés, désormais seule dans sa résidence, sous la garde temporaire d'un autre professeur. Du moins jusqu'à la prochaine rentrée.
Elle sait qui est responsable de l'arrestation de son père : Connor Rudenstein et Edelweiss Wintenberger. Elle a retenu ces noms comme on retiendrait une rancune, alors même qu'elle ne leur en veut pas. Une partie de son esprit se demande comment elle a pu échapper au comportement apparemment fréquent de son père envers les adolescents, aux regards en coin, aux commentaires doucereux, aux contacts inappropriés. Mais c'est sa rancœur envers ses parents qui l'a emportée. S'il n'a jamais tenté alors même qu'il savait qu'elle ne comprendrait pas, c'était parce qu'il ne la considérait pas comme les autres. Pas comme une fille normale. Et tout ça, c'était à cause de ceux qui l'avaient abandonnée. Aurait-elle dû être reconnaissante d'avoir échappé à la perversion de son père ? Peut-être. Mais elle n'y voyait qu'une preuve de plus qu'elle ne serait jamais vu comme autre chose qu'une créature repoussante. Alors elle pris cet événement comme la dernière pierre du mur qui la séparait du monde.
Et elle sortit à nouveau. Tua à nouveau. Regarda depuis sa chambre les informations à la télé qui mentionnaient les disparitions dont elle était responsable. Mais pas un jour, elle n'avait croisé quelqu'un qui n'ait pas été terrifié par sa simple apparence.
Maintenant, elle a quatorze ans, elle entre pour la première fois dans cette partie du monde qui connaît l'existence de la magie. S'Indarë, une école peuplée de gens comme elle, aussi anormaux, aussi monstrueux, aussi magiques. Mais il est déjà trop tard pour faire marche arrière, trop tard pour effacer les crimes, trop tard pour empêcher le mur. Peut-être quelqu'un arrivera-t-il à le détruire ?