Mascotte vs Demeurée

S'il y a bien une chose que je déteste le plus au monde – outre mes géniteurs –, ce sont les rendez-vous médicaux. Je ne vois pas l'intérêt d'y aller quand je n'ai pas mal ou que la douleur reste à un stade supportable. Pourtant un rendez-vous a été convenu pour aujourd'hui. Tout ça pour un contrôle de routine – mon cul oui – et me donner je ne sais quelle substance louche. Si c'est par voie orale à la limite, osef. Si c'est par injection, je préfère encore crever.

Maintenant que j'y pense, j'avais dû faire une prise de sang dernièrement. Ca a été la bataille pour la faire mais au final, le résultat était là. Peut-être qu'ils ont trouvé un truc étrange. Ou alors c'est en rapport avec mes récentes blessures. Difficile à dire lesquelles, je m'en fais tellement depuis que je suis à Sin.

Je reste donc cloîtrée dans la chambre, profitant que mes examens soient terminés pour glandouiller un peu. Je ne sais plus si j'en ai parlé à Edelweiss de mon rendez-vous médical. J'espère que non sinon elle va s'inquiéter et va vouloir que j'y aille. Ou si je lui ai dit, j'espère qu'elle a oublié entre-temps.

En parlant de ma petite mascotte, celle-ci arrive enfin dans la chambre. Et me voilà déjà à lui sauter presque dessus juste pour lui faire un câlin. La pauvre doit encore supporter les derniers cours contrairement à moi qui les ai finis.

- Weissouuuuuuu !

Sauter au cou de ma colocataire n'était peut-être pas une si bonne idée que ça. J'ai voulu l'accueillir un peu trop joyeusement et au final, j'ai surtout réussi à lui faire perdre l'équilibre. Nous nous sommes rapidement retrouvées toutes les deux au sol. L'une trop énergique comme d'habitude – peut-être même plus que d'habitude en fait – et l'autre dans un état larvaire. Et ça ce n'est pas normal. Quand elle est aussi peu en forme, ça n'annonce généralement rien de bon. Je vais peut-être pouvoir esquiver le sujet médical en fin de compte.

- J'suis contente de te revoir, tu m'as manquée pendant ta journée de cours c'est tout.

Ouais à d'autres. Enfin il y a de ça mais ce n'est pas la raison principale aujourd'hui. Je finis par me relever et l'aider à en faire de même. Pas qu'avoir sa poitrine en guise de coussin me dérange – bien au contraire, c'est confortable – mais je ne crois pas qu'elle ait le même point de vue. Et puis je refuse que si elle en touche un mot à Naomi, celle-ci ait encore une occasion pour dire des absurdités. Elle en dit déjà assez.

- T'as passé une bonne journée ?

Tout est vraiment bon pour éviter de lui parler de mon rendez-vous médical. Je ne compte pas y aller de toute façon. Et puis ça m'intéresse réellement de savoir comment était sa journée.

Ce n'est pas normal. Edelweiss est beaucoup trop...molle ? Mouais. Je suppose qu'on peut dire ça vu son état. J'ai l'impression de voir un flan qui se déplace. Il manquerait plus qu'elle soit aussi gélatineuse et ce serait le bouquet. Je la fais tomber, elle ne réagit pas. On se retrouve dans une position très légèrement compromettante, elle ne rougit même pas. Et quand je l'aide à se relever, j'ai l'impression de tirer un mort. C'est comme si Weiss s'était zombifiée.

Rien qu'à voir sa tête, je peux deviner que sa journée n'avait pas l'air d'avoir été très joyeuse. Et sa réponse évasive n'arrange pas ma théorie. Quelque chose cloche et je veux savoir ce que c'est. Ce n'est pas la première fois que je la vois devenir évasive, refermée sur elle-même, respirant l'envie de suicide plutôt que la joie de vivre. Ca commençait déjà à Noël et c'était bien pour ça que je l'avais invitée à la maison. Pour qu'elle souffle un coup et qu'elle soit reboostée. Là, c'est encore pire qu'à noël.

- T'es sûre que...

Pas le temps de finir. Elle part déjà poser ses affaires et se poser tout court. Elle est complètement lassée. Et là, elle me brise totalement mon espoir. Une moue boudeuse s'affiche alors sur mon visage, dévoilant mon gros manque de motivation.

- J'ai pas envie d'y aller. En plus ça sert à rien...

Quand Edelweiss est aussi molle, ça m'inquiète. Je suis censée aller à un rendez-vous médical mais au final, je me demande si ce ne serait pas elle qui en aurait le plus besoin. Moi c'est juste un contrôle. Elle par contre, y a autre chose et ça m'énerve de ne pas savoir ce qui la rend si mal. Je soupire doucement par désespoir. C'est vraiment bien parce que c'est elle qui me le demande.

- Bon d'accord mais c'est bien parce que c'est toi qui me le demandes.

Et aussi parce qu'elle m'a promis une surprise. J'aime bien les surprises surtout lorsqu'elles viennent de ma colocataire. Je lui fais une bise et sors donc de la chambre sans grosse motivation pour le rendez-vous.


À mon retour dans la chambre, je viens directement me laisser tomber sur mon lit. La course-poursuite dans les couloirs et la prise de catch avec le médecin, ça m'a épuisée. Cette miss est tarée, bordel ! Elle est censée soigner, pas plaquer les gens au sol. Je crois qu'elle a raté sa vocation. Je cherche ensuite mon adorable mascotte du regard mais aucune trace d'elle.

- Edelweiss ?

Pas là. Je me relève et la cherche un peu plus attentivement, allant voir vers le lavabo si elle me ferait pas une petite farce. Rien non plus. Personne.

- Ben... Où elle est ?

Elle m'avait promis une surprise. Elle aurait été la chercher ?

Qu'est-ce que je ferais pas pour ma colocataire adorée. Et pour avoir une récompense aussi mais ça, c'est moins important. Même sans me promettre une surprise, j'aurais toute façon fini par céder. Parce que c'est elle qui me le demandait. Parce que c'est Edelweiss. À mon retour de la visite médicale, j'ai tout de même été étonnée de ne pas la voir. J'ai eu beau faire tout le tour de la chambre, il n'y avait personne.

Je l'ai cherchée pour rien en plus parce que celle-ci est arrivée peu de temps après moi. Je stoppe donc net mes recherches et vais voir le paquet. L'ouverture se fait avec précaution. Etant donné qu'elle a voulu accéder à la cuisine, c'est sûrement de la nourriture. Il vaut donc mieux que je n'y aille pas comme une sauvage. Le paquet étant ouvert, je découvre un fraisier. Mon dessert préféré. Je reviens rapidement vers mon amie et la prends dans mes bras dans un geste tendre.

- Toi, tu sais vraiment me prendre par les sentiments. Merci ma choupette, t'es la meilleure !

Je dépose un baiser sur sa joue en souriant puis retourne voir le fraisier. Il a l'air vraiment succulent. Ce serait juste dommage de le déguster toute seule. D'un autre côté je ne vais pas obliger Edelweiss à en manger.

- Il a l'air super bon. Tu en veux ?

Du fraisier. Cette fille sait vraiment parler à mon estomac et me prendre par les sentiments lorsqu'elle souhaite obtenir quelque chose de ma part. Pour la remercier de cette corruption – parce que soyons honnête, c'en est une – je l'ai prise dans mes bras et lui ai déposé un bisou sur la joue. Un geste affectueux pour lui remonter un peu le moral, lui rappeler que c'est une fille bien et surtout, pour la remercier. Je n'ai pas l'habitude de recevoir un cadeau de la part de quelqu'un d'autre que mon frère. Alors même si le fraisier est une récompense pour avoir été chez le médecin – j'ai l'impression d'être un chien qu'on récompense quand il a bien obéi – ça me touche de savoir que c'est elle qui l'a offert.

Déjà impatiente de goûter à la pâtisserie, j'en propose à ma colocataire mais celle-ci refuse. Néanmoins quelque chose me fait rapidement oublier l'envie de goûter le gâteau tout de suite. Je m'approche d'Edelweiss et observe un instant son bouquin de science avant de la regarder elle. Elle a du mal à comprendre l'exercice ?

- Qu'est-ce qui te tracasse ?

Si ce n'est pas les cours, c'est autre chose. Si c'est bien autre chose, c'est inquiétant. En plus elle a la sale manie – je peux parler, je ne suis pas mieux – de cacher lorsque ça ne va pas. Il fat toujours soit insister, soit enquêter pour savoir.

La fatigue hein ? Elle me croit vraiment stupide à ce point ? Même quand elle a des coups de fatigue, elle n'est pas aussi molle. Bien au contraire, elle force pour que personne ne le voit quitte à s'écrouler au sol. Et là c'est un peu ce qu'elle fait en écrivant. Sauf que c'est beaucoup moins convaincant. Au début de notre colocation je l'aurais sûrement crue. Cependant j'ai appris à la connaître, à reconnaître certains signes – même s'il m'arrive de me tromper – et à deviner quand elle tente de cacher un souci.

Finalement elle se lâche. Elle ? Etre une mauvaise personne qui fait du mal aux autres par égoïsme ? Certainement pas ! Je ne sais pas qui a osé lui mettre cette idée en tête mais cette personne va m'entendre. Etrangement, mes pensées se tournent vers Melody. Elles ne s'entendent plus et arès tout ce que j'ai entendu sur elle, j'ai de quoi la suspecter.

- Je ne sais pas qui te fait croire une chose pareille mais qui que ce soit, cette personne a tort. Tu n'est clairement pas une mauvaise personne et tu ne fais pas de mal aux autres par égoïsme. Par maladresse éventuellement mais ça, c'est normal. Moi aussi j'en fais. Naomi en fait aussi. Tout le monde en fait tôt ou tard et ce n'est pas pour ça qu'on est mauvais. T'es certainement la personne la plus gentille que j'ai connue ici.

Mes paroles ne semblent pas convaincre ma colocataire. Pourtant elles sont sincères. Je ne pense pas qu'elle soit une mauvaise personne, bien au contraire. C'est même la personne la plus pure que j'ai rencontrée. La suite de ses paroles me touche bien plus que je ne l'aurais voulu. Je déteste déjà toutes ces personnes qui ont osé lui faire croire n'importe quoi depuis le collège. Et puis aussi, je sais ce que ça fait d'entendre quelqu'un nous dire que notre existence n'est pas souhaitée. Je sais à quel point c'est douloureux d'entendre ce genre de parole.

- Ce sont ces gens qui sont hypocrites. Toi tu n'as rien à te reprocher. T'es la personne la plus pure que j'ai rencontrée.

Je prends une chaise et m'assieds à côté de mon amie, lui caressant ensuite les cheveux. Pour en arriver à penser tout ça, c'est qu'elle ne va vraiment pas bien. Tout ça c'est de la faute de ces gens qui utilisent sa naïveté contre elle. Edelweiss est crédule et ils en profitent.

- Melody a sans doute toujours été vicieuse. Même moi elle m'a peut-être déjà utilisée, qui sait ? Quant à ton ex, tu ne pouvais non plus pas sacrifier ton propre bonheur juste pour lui faire plaisir. Et Léandre... Il a peut-être juste un début de relation ou une simple préoccupation depuis quelque temps. Il faudrait lui demander, lui seul peut te dire ce qui cloche.