Ce soir j'dors chez toi !

Je me sens un peu bizarre depuis Noël. Je suis rentré pour les vacances le lendemain du repas de l'école mais, comme j'ai pas raconté grand chose de la soirée, mes frères s'en sont donné à coeur joie pour me charrier. Comme d'habitude, j'ai envie de dire, mais...
Alors, est-ce qu'il s'est enfin passé quelque chose entre vous ? T'as fait un premier pas vers elle ? un bisou, un câlin, même juste lui tenir la main ?
C'était juste pour qu'elle arrête de lancer des choux à la crème de tous les côtés. Oui... mais je l'ai pas vraiment lâchée après. J'y aurais pas pensé si David et Julien avaient pas posé ces questions. Ils ont vraiment le chic pour me torturer l'esprit. De toute façon, ça n'a rien changé. On se voit comme avant, on est amis comme avant, et je la considère comme avant.
Je crois.
Bref.

De toute façon, j'ai pas le temps de penser à ça. J'ai mon premier devoir à rendre pour le semestre, donc il faut que je me concentre là-dessus. Mes cours sont loin d'être simples, je peux pas me permettre de prendre du retard. Enfin, le problème, c'est que plus on pense ou parle de quelqu'un, plus on risque de le voir débarquer.

- Salut Eli ! J’viens squatter ici. On me refuse l’accès à ma chambre et mon frère ne peut pas m’héberger. T’es mon dernier espoir sinon j’vais dormir dehors…
- P... Pardon ?

D'où elle sort ? Elle vient sérieusement de rentrer dans ma chambre sans prévenir ? Je soupire.

- C'est avant, qu'on frappe, Casey !

Mais elle peut pas dormir là, c'est pas possible. C'est même totalement hors de question. D'abord, j'ai qu'un lit. Ensuite, je peux pas dormir avec mon binder donc elle risque de remarquer certaines choses, même si je dors avec un pull. Et enfin...

- Si tu peux traverser les murs, pourquoi tu traverses pas celui de ta chambre ? Ou même de chez ton frère.

J'ai vraiment pas l'espace pour hébergé quelqu'un, moi ! Elle compte dormir où, par terre ? Le passe-muraille vient aussi avec une insensibilité aux courbatures ? Parce que le parquet, c'est quand même pas hyper confortable.

Bien sûr que c'est important ! Si elle avait frappé avant, ça m'aurait évité la crise cardiaque de me rendre compte de sa présence qu'une fois qu'elle a commencé à parler. Elle est irrécupérable. Et comment ça, pas la force ? Elle a eu la force de traverser mon mur, pourquoi pas les leurs ? Non, j'ai dû l'invoquer d'une manière ou d'une autre. C'était vraiment pas le soir pour débarquer comme ça, j'ai la tête ailleurs. Ou plutôt pas assez ailleurs, justement. Elle avait juste envie de squatter là, en fait… ce qui m'aide pas du tout à démêler mes pensées ! Rah !

- Casey…

Bon, c'est trop tard, elle est allongée sur mon lit. L'uniforme des filles est vachement court, quand même… Ouhla. Ouhla, non, on va regarder ailleurs. Pourquoi je remarque ce genre de truc ? Mince, elle a parlé, non ? J'ai absolument pas entendu ce qu'elle a dit. … Si c'est important elle le répétera. Enfin j'espère.
Regarde ailleurs on a dit. Je suis pas David, bordel, c'est pas mon genre de buguer sur le physique de quelqu'un, quand bien même on voit beaucoup ses jambes. Urm.

Elle a quand même l'air… dans un drôle d'état, non ? Je dis pas du tout ça parce qu'elle vient de se laisser glisser au sol avec une tête bizarre – bon, totalement – mais on dirait qu'elle est un peu déconnectée.

- Tu es sûre que ça… va…

Elle m'a fait un câlin. Enfin non : elle s'est jetée sur moi pour me faire un câlin, surtout. Et comme je suis sur ma chaise, elle est encore plus collée contre moi que d'habitude. Je sens les rebord de sa jupe sur mes jambes fnrkjgnn. Ok. Calme-toi. C'est juste… C'est juste la testostérone… Juste ça. Mais elle est quand même vraiment trop collée contre moi et elle me fait un bisou, en plus.
J'ai passé combien de teintes de rouge, là ?

- Euh… ouais, c'est un truc à rendre… Je… urm… je dois le finir…

Décroche-toi de moi, s'il te plaît…

Ok, non, elle est clairement pas dans son état normal. Je pense pas qu'elle soit du genre à boire de l'alcool toute seule, du coup pourquoi ? La fatigue ? Ça fait beaucoup pour juste de la fatigue. Et puis si elle pouvait éviter de me faire ce genre de câl… ins. Ou de s'asseoir sur moi, en fait ! Qu'est-ce que tu fais Caseeeey ?

- Je suis à peu près sûr que c'est pas ton truc…

Retourne t'allonger sur le lit. Ou par terre. Ou n'importe où ailleurs que sur mes jambes, en fait. Je suis censé réussir à me concentrer sur mon devoir dans ces conditions ? Alors qu'elle est collée contre moi… Je peux sentir l'odeur de son shampoing. L'étreinte de ses bras autour de moi. Elle est vraiment, vraiment collée contre moi… Heureusement que j'ai gardé mon binder pour bosser, en fait. Si elle était arrivée un peu plus tard…
Enfin faut que je trouve un moyen pour qu'elle dorme pas collée contre moi comme ça parce que sinon déjà, je dors pas, et si je garde ça toute la nuit ça risque d'être mauvaise pour moi. Mais je peux pas… l'enlever s'il y a des risques qu'elle s'en rende compte.

- Casey… je suis pas… je suis pas un lit…

Ni une peluche, ni un oreiller, ni quoi que ce soit qui justifie qu'elle s'endorme sur moi comme ça. … Wait. Elle dort pas, hein ? Elle est encore réveillée ? Comment je peux travailler si elle s'accroche à moi comme ça ? Est-ce qu'elle entend que mon cœur bat dix fois trop vite pour un être humain normal ? Je vais aller m'enterrer quelque part pour ne plus jamais ressortir, hein…
De tous les soirs où elle pouvait venir, il fallait qu'elle choisisse un de ceux où je me pose des questions existentielles.

- Si tu es vraiment si fatiguée, va te coucher.

C'est bon, je renonce à l'empêcher de dormir dans mon lit. C'est mieux que sur moi.

Je suis pas confortable, je suis juste… juste un être humain, à quel moment c'est confortable de s'asseoir sur mes genoux ? Je suis sûr qu'on peut sentir mes os, ou même ceux de mes épaules là où elle pose sa tête. Je n'ai absolument rien de confortable. Elle dit ça juste parce qu'elle est… fatiguée ? Non… Attends, comment ça shootée ? Elle a pris quelque chose ? Quelque chose de fort, visiblement.

- Euh… T'es sûre que ça va ? Si tu vois des taches, il faudrait peut-être que tu…

Elle ne m'écoute pas. Du tout. Elle est en train de compter des trucs invisibles. Je sais pas ce qu'elle a pris mais j'espère vraiment que c'est pas quelque chose de dangereux, ou que personne s'est amusé à lui refiler des trucs. Vu qu'elle a une attelle, elle s'est peut-être juste blessée et elle a abusé sur les anti-douleurs ? C'est quand même un peu excessif, non ? Elle m'inquiète vachement… Je crois que je verrais plus tard pour cet examen.

- Casey..?

Elle dort vraiment, cette fois, je crois. Bon. Elle s'est carrément endormie sur mon épaule, c'est vraiment que quelque chose va pas. Là, elle peut me répéter autant de fois qu'elle voudra que tout va bien, je serai incapable de la croire.
Elle vient de me baver dans le cou…?
Bon, elle est clairement pas dans son état normal, on a rien dire pour cette fois. Mais je peux pas la laisser là, à moitié shooté, à dormir sur moi. Il faut qu'elle se repose vraiment.

- Tu as besoin de sommeil.

Est-ce que j'ai seulement la force de la porter ? Avec mes muscles microscopiques ça m'étonnerait – j'ai plus de force dans les jambes que dans les bras – mais… si je pioche un peu dans mes pouvoirs… J'ai plus beaucoup de réserves, je risque d'avoir encore plus faim, après, mais sans ça je vois pas comment je pourrais avoir la force de la soulever. Il faut juste que je fasse en sorte que les ombres se dispersent ailleurs que vers elle.

Une fumée noir auréole mes bras tandis que des filaments partent de mon ombre pour aller ramper jusqu'aux pièces voisines. C'est un peu dangereux mais avec un peu de chance, il y a une personne dans le coin qui fait juste un cauchemar et qui saura attirer le croque-mitaine sans avoir trop de conséquences. Je préfère juste éviter que ça touche trop fort une seule personne, mais en dispersant, ça devrait aller, et Casey ne devrait pas être touchée du tout. Je la porte en me relevant pour la ramener jusqu'au lit et la poser doucement sur le matelas, et je me concentre pour rappeler le croque-mitaine avant de perdre le contrôle.
Ok, c'est carrément pas facile, en fait, j'aurais peut-être dû prendre le risque de faire ça avec mes forces à moi plutôt que de piocher dans la magie. Mais j'avais peur de la faire tomber.

- Repose-toi.

Comme ça, elle devrait pouvoir dormir. J'espère juste que ce qu'elle a pris n'est pas trop fort et qu'elle ira mieux demain matin… elle m'a pris la main. C'était pas du tout prévu. Je pensais qu'elle dormait ou à la rigueur qu'elle ne se rendrait pas compte, mais elle vient de m'attirer vers elle et je m'y attendais pas. Du tout. Donc je me suis retrouvé à tomber à côté d'elle sur le matelas. Je sais qu'elle est sous l'influence d'un truc mais elle abuse un peu, quand même !

- Je dois travailler…

Je dois surtout absolument pas me retrouver collé à elle si je tiens à mon intégrité mentale et physique, en fait. Elle va faire dérailler mon cerveau. Elle est trop près, trop accrochée. Au moins je sais que c'est bien un médicament qui la met dans cet état mais je peux pas… Je peux pas la laisser dormir contre moi comme ça. Et si moi, je m'endors ? Je risque d'être en retard pour mon devoir. Non, c'est pas ça le problème.
Si moi, je m'endors, ça veut dire que j'ai réussi à dormir en étant collé contre quelqu'un. Et pas contre n'importe quel quelqu'un. Si moi, je m'endors, ça veut dire que je peux dormir dans les bras de Casey, et je suis pas sûr d'avoir envie de réaliser tout ce que ça pourrait impliquer. Du coup, non. Elle ne peut pas dormir comme ça. Je ne peux pas dormir comme ça.

- Je sais, je sais…

Ok, elle délire complètement. Elle parle de voler des trucs. Mais quoi ? À part ma stabilité émotionnelle, elle a pas volé grand-chose. Elle est vraiment très très près… Est-ce qu'elle est trop dans les vapes pour réaliser que le torse contre lequel elle s'est blotti n'est pas aussi plat qu'il devrait l'être ? Ça passe même pour les t-shirt proches du corps mais au contact, on sent quand même la différence…

- Tu as pris quoi, pour te retrouver dans cet état ?

Il faut que je pense à autre chose, sinon j'arriverai pas à m'ôter ça de la tête. Et si je pense trop au fait qu'elle est collée contre moi, je risque de me sentir mal.

Donc c'était bien des anti-douleurs. Eh bah c'est sacrément fort, ce qu'ils donnent, quand même. Mais j'aurais bien aimé quand même que parmi les effets secondaires, il n'y ait pas "devient un pot de colle". Quoique c'est peut-être juste Casey, en fait, ça empire les traits de caractère.
…
Elle s'est endormie, là ?

Peut-être que je peux… essayer de bouger un peu. Vu qu'elle a l'air totalement dans les vapes, si je décroche ses bras, et que je passe l'autre au-dessus de ma tête en glissant comme ça… Ah ! Elle a bougé. Non, ça va, elle dort encore. On va se décaler encore un peu… Ok, c'est bon je suis libre. J'ai survécu. J'espère juste qu'elle n'a rien remarqué et qu'elle ne va pas me poser de questions. En tout cas, les médocs ont dû bien la plomber pour qu'elle s'effondre comme ça. Je peux pas m'empêcher de sourire en la regardant somnoler. Elle a un peu de bave au coin des lèvres, c'est mignon. Comme elle bouge encore un peu dans son sommeil, j'attends qu'elle ait tourné un peu pour pouvoir mettre la couverture au-dessus d'elle, histoire qu'elle attrape pas froid en plus du reste.

J'attrape une des peluches qui traîne sur le côté pour la mettre dans ses bras à ma place, comme ça elle va peut-être pas se réveiller en remarquant mon absence, on sait jamais, suffirait qu'elle panique… Mais bon je peux pas rester dans le lit pour l'instant ; déjà parce qu'elle est dedans, pour commencer, ensuite parce que je dois bosser, et je veux pas prendre le risque qu'elle soit plus consciente de ce qu'elle fait une fois réveillée. Ou de ce qu'elle sent, plutôt.

Je retourne bosser sur mon devoir d'électronique pendant qu'elle dort. Parfois, elle marmonne des petits trucs inintelligibles, c'est marrant, ça me fait une petite ambiance sonore. Jusqu'à ce qu'elle finisse par dire quelque chose de compréhensible. Ah, elle est réveillée ?

- Je dois finir ça… et puis je t'ai laissé Muffin pour te tenir compagnie.

Muffin, ma peluche hérisson que je traîne depuis que j'ai 5 ans et qui trône toujours un peu à côté de mon oreiller.

- C'est un grand privilège, alors bave pas trop dessus.

Je lui tire la langue avant de me repencher sur la fin de mon devoir. J'ai bientôt fini, en plus.

Des devoirs qui durent trop longtemps… Oui et non. Je me suis un peu laissé retarder ces derniers jours, mais c'est vrai que l'université, c'est un peu plus compliqué que ce que j'aurais cru. Beaucoup de boulots, beaucoup de choses à rendre, je comprends mieux pourquoi ils limitent le nombre de cours qu'on peut choisir, même quand ça n'a pas l'air si chargé que ça en terme d'horaires. Ils savent.

- Je suis pas obligé, mais si une certaine blondinette ne débarquait pas quand je travaille pour venir baver sur mon épaule, j'aurais déjà terminé.

Je la taquine. Même si sa présence m'a carrément perturbé – en même temps vu l'état dans lequel elle était, voilà hein – je vais pas lui reprocher d'être venue. C'est moi qui avait pris du retard sur mon devoir, j'aurais fini avant même l'heure à laquelle elle est arrivée. Mais pour ma défense, je m'attendais pas à ce qu'elle se pointe dans ma chambre, et j'étais préoccupé par tout un tas de trucs. Dont elle, en fait.

Elle s'approche de moi, mais cette fois sans me sauter dessus – merci. Elle a l'heure en meilleur état qu'avant sa petite sieste forcée, et elle n'a pas lâché Muffin. Elle est adorable avec cette peluche dans les mains, quand même…
Bref, bref. Ce n'est pas le moment de penser à ce genre de choses. Pas quand elle est à côté de moi. Si je veux réfléchir à tout ce qui m'est passé par la tête depuis noël, ça sera tout seul.

- Non, j'ai bientôt fini. Je m'y suis juste pris un peu tard.

Parce que je n'arrivais pas à me sortir Casey de la tête. Est-ce que mes frères auraient raison ? Non… On est amis, rien d'autre, je lui ai pris la main pour une raison qui n'avait rien à voir avec ce que Julien et David essayent de me mettre en tête. C'est eux, qui n'arrêtent pas de me perturber et de me triturer l'esprit dans tous les sens.

- Tu es déjà réveillée ? Tu avais l'air tellement crevée, je pensais pas te revoir avant demain matin.