La Muse et le Kraken (Maëlys)

Nouvelle rentrée scolaire. Elle n'aime pas la rentrée. Déjà parce que ça l'éloigne des vacances et que toute chose qui l'éloigne des vacances est un crime contre sa personne, mais surtout parce que les gens qui se sont pas vu de l'été son tellement contents de se retrouver qu'ils ont tendance à crier un peu fort. Elle a les oreilles sensibles, et elle n'est pas d'humeur pour la marée de PNJ qui hurlent. Du coup... elle a séché les cours. Oui, le premier jour, elle fera l'effet d'aller aux suivants. Peut-être. J'ai aucune envie d'aller en cours cette semaine, alors t'avance pas trop. De toute façon il y'a pas encore de contrôles, donc ça sert à rien que j'y aille, si ? Je ne te ferais pas sécher tous tes cours. De toute façon, tu finiras bien par devoir y aller. Super... eh bah laisse-moi profiter de mes derniers instants de liberté. Avec un soupir, elle s'allonge dans l'herbe, laissant son carnet à côté d'elle en fermant les yeux. Il faudra bien qu'elle mette les pieds dans l'école, ce soir, pour aller déplacer ses affaires dans sa nouvelle chambre, mais elle n'ira pas avant la fin des cours. Pour l'instant, elle profite du temps passé dans ce parc. Peut-être qu'elle dessinera quelque chose, aussi. Après tout la journée ne fait que commencer.

Après une sieste tranquille dans l'herbe du parc, elle finit par s'asseoir, sortant son carnet à dessin. Et c'est à ça qu'elle passe le reste de la matinée, jusqu'à ce que son estomac se rappelle à elle. Le temps d'un fish'n'chips et elle retourne s'installer dans son espace vert, au même endroit, pour terminer sa toile. C'est un super dessin pour fêter sa nouvelle chambre. Elle n'a pas la moindre idée de qui seront ses colocataires, d'ailleurs. L'année dernière, elle est tombée sur des filles beaucoup trop résolument sages. Aussi inintéressantes qu'une feuille blanche... et encore, les feuilles, on peut dessiner dessus.

Son oeuvre finie, et une fois certaine d'avoir dépassé l'heure du dernier cours, elle se relève, rangeant ses carnets dans son sac avant de le passer sur son épaule et de marcher jusqu'aux grilles. Ouvertes pour laisser sortir les élèves qui commencent à sortir pour rentrer chez eux ou pour aller en ville. Cachant ses tentacules encore courts sous une capuche, Ever se glisse dans la foule à contre-courant en échappant à l’œil du surveillant pour éviter de commencer l'année sur une heure de colle. Une fois le danger passé, elle trottine jusqu'au dortoir en laissant tomber sa capuche sur ses épaules, puis elle monde jusqu'à sa chambre. Première arrivée, visiblement.

En attendant que ses colocs arrivent, elle sort son carnet à dessin et découpe proprement la dernière feuille, avant de dessiner un cadre autour grâce à un pinceau trempé dans son encre magique. Le cadre apparaît magiquement, formant un véritable tableau, et elle l'accroche du mieux qu'elle peut sur le mur proche du lit qu'elle décide de s'attribuer. Première arrivée, elle décide, c'est tout. Ensuite elle s'installe sur son lit, avec son carnet à dessin, en griffonnant une nouvelle idée et en tournant régulièrement la tête vers la chambre en attendant que la porte s'ouvre.

Finalement, malgré ses coups d’œil récurrents vers le monde extérieur, la porte s'ouvre alors qu'Ever est plongée dans son dessin. Ça ne l'empêcha pas de releva la tête assez vite, pour observer la jeune fille aux cheveux verts qui se trouve là. Un petit serpent enroulé autour d'une mèche, une grenouille dans les cheveux, un uniforme témoignant qu'elle n'a pas fait comme elle et décidé de sécher les cours le jour de la rentrée (rien d'étonnant à cela), un sourire mine de rien assez adorable et un geste de salutation un peu étrange. Mais moins que la façon dont elle s'adresse.
Haussant un sourcil, Ever pose le carnet à côté d'elle, le temps de chasser le tentacule encore court qui s'est invité devant son visage, puis elle relève à nouveau la tête vers sa camarade.

» Enchantée, moi c'est Ever, dit-elle d'une voix où transperce une pointe d'enthousiasme. Tu as le droit de me tutoyer, tu sais. En fait je préférerais.

Pour ne pas dire l'obligation. L'idée qu'on la vouvoie la dérange vraiment, vraiment beaucoup, surtout venant d'une fille qui doit avoir son âge, ou même quelques années de plus. Pendant que sa nouvelle colocataire range ses affaires, Ever reprend son croquis, attendant qu'elle ait terminé de s'installer pour laisser définitivement le dessin sur le matelas. Du coin de l’œil, elle jette un œil dans le carnet qui décrit ses faits et gestes, puis elle le ferme pour que Maëlys ne tombe pas dessus, et elle le range dans le sac posé à côté de son lit. Ensuite de quoi elle se lève, avec un petit sourire en écoutant la jeune fille complimenter son dessin.

» Oui, c'est un parc de la ville. Je l'ai fait tout à l'heure.

Là elle réalise qu'elle vient tout bonnement de dire qu'elle avait séché les cours, ou en tout cas qu'elle avait passé la journée à dessiner plutôt qu'à écouter des profs parler. Discrètement, elle essaye de s'assurer que cette déclaration passera un peu inaperçue. Maëlys vient de la vouvoyer et a l'air d'une fille respectueuse, ça serait dommage qu'elle ne l'aime pas juste parce qu'Ever n'est pas très portée scolarité.

» Je me suis dit que ça ferait une bonne décoration pour la chambre.

Et ça ne sera sûrement pas la dernière chose qu'elle fera pour décorer cette chambre... Dans le cadre des choses qui ne la feront pas virer des dortoirs, bien sûr, malgré son envie profonde, parfois, de repeindre totalement les murs. Son coin de la pièce risque de devenir très rapidement, au fil de l'année, une galerie d'art.

Première chose qu'Ever note, c'est que sa nouvelle colocataire semble avoir un mal fou à la tutoyer. Elle a un peu de compassion pour elle. Dans un monde pareil, lâcher une adolescente qui vouvoie ses camarades, c'est un peu de la cruauté. Mais bon, elle finira par s'habituer, de toute façon à force de la côtoyer un jour ça lui viendra naturellement... peut-être. En tout cas elle fera en sorte que ça arrive.

Mais pour l'instant, elles discutent peinture. Ever sourit, toute contente de voir quelqu'un reconnaître son talent artistique. Bon, elle vient officiellement de lancer dans leur première conversation qu'elle a séché les cours, histoire de donner une bonne image d'elle pour commencer, mais à part un haussement de sourcil, cette remarque ne lui vaut rien. Pas de commentaire, de reproche ou de jugement dans le regard. Une personne qui ne critique pas les gens gratuitement ? Raison de plus pour l'apprécier.

» Si je fais d'autres tableaux, je ferais en sorte d'en créer un pour toi, si tu veux.

Elle est contente à cette idée. De pouvoir partager son art autrement qu'en matérialisant des choses autour d'elle. Tant qu'elle ne fait pas de connerie avec son pouvoir, tout se passera bien. Elles pourront avoir une chambre décorée de partout. Elle a bien envie d'en faire sa première galerie d'art. Reste à voir si leur troisième coloc sera d'accord mais, au pire, elle aura la section non peinte de la chambre, c'est pas grave. En plus l'administration ne pourra rien lui dire vu qu'elle ne peint pas sur les murs, cette année.

» La musique ? Non pas du tout ! J'aime beaucoup la musique.

Elle a l'habitude d'en entendre assez souvent. Non, tant que ce n'était pas la même musique que celle d'Ashley, cette pop qui passe sur toutes les radios et qui commence doucement à lui porter sur les nerfs, ça ira. En fait elle espère vraiment que ce n'est pas ça, parce que ça risque de devenir un peu compliqué. Mais Maëlys n'a pas la tête d'une bimbo qui se déhanche sur des comédies musicales pour midinette.

» Oh, tu chantes ? Tu fais partie du club de musique ou bien tu fais juste ça pour toi ?

Le club de musique... Elle a rencontré un gars qui en faisait partie, au début de l'été. Non, de mémoire, c'était même le garant du club. Sympa, agréable et qu'elle aurait bien aimé revoir. À croire qu'elle n'arrive à s'entendre qu'avec les artistes. Ou peut-être juste avec les gens qui ne la critiquant pas à tout bout de champ et qui ne s'amusent pas à se mettre en travers de son chemin.

» Ne t'en fais pas, j'ai le dessin dans le sang, t'écouter chanter ne m'enlèvera pas mon inspiration. Ça pourrait même m'en donner.

Elle est capable de créer des œuvres d'art à partir de paroles de chanson, après tout. Le sens des mots peint une histoire, c'est un art comme un autre qui se transpose de support en support. En fait, ça lui ferait même un exercice pour améliorer ses capacités en dessin.

Eh bien, voilà qu'elle a promis un tableau à sa nouvelle camarade de chambre. On peut dire que c'est une colocation qui commence bien ! C'est pour ça qu'elle aime les artistes, ça fait un sujet de conversation commun qui surpasse les différences. Car il n'y a qu'à voir Maëlys, et à l'entendre, pour savoir qu'elles ont un sacré nombre de différences. Elle est polie, visiblement plus gentille qu'elle même si elle n'a pas l'air d'une menteuse (avantage non négligeable, Ever ne supporte pas les hypocrites), plus enthousiaste envers les choses, ce qui n'a rien de surprenant vu qu'elle ignore que ce qui l'entoure n'est qu'une fiction rédigée. Et pourtant elles discutent sans difficultés, assises sur leur lit, face à face.

La pop-rock alors ? Oui, c'est mieux que la pop tout court. Plus de punch, plus d'énergie, moins d'ambiance boom pour enfants. Eh bien, même si Ever est plus portée punk ou rap, parce que certains contrastes se marient bien dans sa tête, au moins elle est pour l'instant à peu près sûre que la musique de Maëlys ne risque pas de lui taper sur les nerfs. Un sacré bon point, considérant qu'elles vont partager la même chambre et qu'elle ne se voit pas l'empêcher de chanter, ou la fuir quand elle chante. Ça serait comme l'empêcher, elle, de dessiner.
Très mauvais plan, la dernière personne qui a fait ça s'est retrouvée avec un dragon aux trousses.

» Pourquoi tu t'excuses ? Si tu chantes pour donner de l'énergie aux gens, il ne faut pas t'excuser d'en avoir !

Ever sourit. Au fond, elle sait que ce n'est pas de sa faute si elle s'excuse et pas spécialement sa propre décision, mais elle trouve ça un peu dommage, de s'excuser d'être comme on est. Jamais il ne lui viendrait à l'idée de s'excuser d'être insolente et impertinente ; ça lui cause d'ailleurs pas mal de problèmes. Mais c'est dommage de considérer sa propre personnalité comme quelque chose dont on doit être désolé.

Curieuse, Ever se lève de son lit pour aller s'asseoir à côté de sa colocataire et écouter la musique. Oui, elle aurait pu le faire du sien, mais c'est plus simple comme ça, non ? Elle s'installe en tailleur sur le lit, fermant les yeux pour mieux s'imprégner des notes. Quoi que ce soit à redire sur sa voix ? Elle chante vraiment bien, c'est dommage qu'elle en doute. Enfin... le doute est important en art, sinon on ne progresse jamais, mais il faut quand même avoir conscience de ce qu'on sait faire, sinon il devient de l'angoisse et ça finit par bloquer totalement l'inspiration. Mais Maëlys a l'air d'apprécier sa musique, ou en tout cas de s'amuser, alors elle en est probablement loin.

» Tu as une jolie voix. Et tu chantes bien. Tu m'en feras écouter d'autres ? Quand vous les aurez enregistrées, évidemment.

De ce qu'elle a compris, ils débutent à peine. Mais elle aime bien leur morceau, c'est sympa, les musiciens ont l'air d'avoir leur propre talent et, comme elle vient de le dire, Maëlys chante bien. Que des avantages, donc. Et le style ne ressemble pas à une comédie musicale de CM2, c'est important aussi.

» Deuxième année, ouais. Déjà prête à passer en troisième, en quatrième, et à sortir de cette école.

Alors que sa deuxième année vient à peine de commencer, tout à fait. Si ça ne tenait qu'à elle, elle aurait arrêté les cours depuis longtemps pour sen centrer uniquement sur l'art. Mais si elle avait arrêté les cours, elle n'aurait pas obtenu ce pouvoir cool, malgré son indéniable inconvénient. Ça aurait été un peu dommage.

» Tu es en troisième année, toi ?

Si elle lui propose de l'aide pour ses cours, c'est sûrement qu'elle a au moins une année d'avance sur elle, et elle n'a pas une tête de quatrième année. Enfin à moins qu'elle ait sauté une classe, évidemment. Ever n'a jamais rencontré personne qui ait sauté de classe, elle ne sait pas quelle impression ils donnent.

» T'en fais pas, pour mes cours je m'en sors. Mes pouvoirs... mes pouvoirs sont un peu capricieux, mais ça va.

Elle ne précise pas qu'elle s'en sort en trichant. Ça lui a permis de terminer sa première année sans trop de problème et elle compte bien faire exactement pareil cette année, et les deux suivantes. S'en sortir avec la moyenne nécessaire, avoir son diplôme, et ne plus jamais entendre parler d'école de sa vie. Un programme très, très plaisant.

Sa nouvelle colocataire semble être quelqu'un d'adorable. La voir rougir sous son compliment ira un petit sourire à Ever. Sans doute n'a-t-elle pas l'habitude de recevoir des éloges sur son travail, d'autant plus si elle vient de débuter. Avec le temps, on s'y fait. Sans devenir prétentieux, on finit par pouvoir reconnaître objectivement certaines qualités de ses créations, ce qui n'empêche évidemment pas d'en voir les défauts, et on cesse d'être persuadés que tout le monde va détester. D'un côté, Ever a envie de voir le jour où Maëlys pourra chanter ses chansons ou les faire écouter avec fierté, ou au moins avec une conscience d'avoir créé quelque chose de bien.

» Ton serpent ?

Oh, elle n'est pas la seule à avoir des capacités liées à quelque chose que certains trouvent repoussant ? Elle baisse un instant les yeux sur ses tentacules, consciente que beaucoup de personnes lui jettent des regards de travers en les voyant, puis elle les repose sur Maëlys. Ses yeux orange se posent sur le petit animal blanc qui s'approche d'elle et elle sourit. Bon, d'accord, le sien est nettement moins repoussant, même si les phobiques des serpents doivent la haïr. Calme, Ever écoute donc sa camarade lui exposer la nature de ses pouvoirs avec un petit haussement de sourcils.

Alors comme ça, son serpent change de couleur et lui donne de nouvelles capacités selon celle qu'il porte ? Un joli pouvoir pour une artiste, de jouer avec les coloris. Au final, sa colocataire ne lui explique pas vraiment l'effet de chaque couleur, simplement que le bleu peut être dangereux, négatif. Elle se demande combien il y en a.

» La magie a l'air d'avoir eu une sacrée imagination en te donnant ce pouvoir.

"La magie" c'est sa manière d'évoquer les créateurs sans avoir l'air trop étrange. Elle sait très bien que l'aléatoire de la zone n'en est pas vraiment et qu'il dépend de la décision consciente de personnes plus ou moins gentilles avec leur création. C'est sans doute pour ça qu'elle est plus curieuse que d'autres par rapport aux pouvoirs. L'imagination a toujours été quelque chose qui l'intéresse, qui la fascine, même.

» J'ai jamais aimé l'école. L'art, c'est la seule chose qui vaille la peine, ici.

Elle sourit en entendant Maëlys lui parler de la prof de dessin et des choses qu'elle pourrait lui apprendre. Effectivement, elle ne niera jamais toutes les possibilités que lui offre l'art, mais elle a toujours préféré apprendre d'elle-même. Les professeurs lui ont toujours laissé une impression désagréable. "Si tu ne sais pas le faire, enseigne-le". C'est une phrase qu'elle a entendue quelque part et qu'elle s'est ancrée dans la tête, assez pour se persuader qu'au moins la moitié des profs d'arts ne maîtrisent pas le leur.
Sûrement fausse, d'ailleurs.

» Il y a toujours des choses à apprendre. Mais je suis plus une exploratrice qu'une étudiante. Je préfère découvrir toute seule, tester des choses, rater et recommencer.

L'art ne cesse jamais de s'améliorer, mais elle a toujours eu du mal à accepter que des inconnus lui donnent des conseils. Elle sait ce qu'elle fait. Et quand elle ne sait pas, elle préfère qu'on la laisse se tromper.