Premier jour de prison [feat. Martel]

Les jours comme aujourd'hui étaient souvent d'un calme déconcertant. Le samedi était une journée de repos bienvenue dans la semaine : une partie des élèves rentraient chez eux, une autre révisait ou faisait ses devoirs pour être tranquille le dimanche, et ceux qui restaient n'étaient pas forcément les plus prompts à sortir de leur chambre. il y avait peu d'incident le week-end de manière générale, ou en tout cas pas dans ses horaires de travail, les petits incidents commençant le plus souvent dans la soirée entre ceux qui voulaient griller le couvre-feu pour sortir en ville et ceux qui décidaient, à la place, de faire une soirée directement dans leur chambre ou leur résidence. Mais ça, c'était le job de ses collègues.

Elle prit quand même un élève à fumer dans le hall des dortoirs et l'incita gentiment à se rendre dehors, même si le ton de sa voix n'autorisait aucune protestation. Elle avait assez bonne réputation pour que les élèves ne lui répondent pas quand elle leur donnait ce genre de directive, sans doute parce qu'elle était rarement injuste, mais elle savait sévir pour ceux qui ne comprenaient pas le message la première fois. Mais ce n'était pas le cas de celui-ci, qui sortit bien gentiment du bâtiment pour se poser à côté de la porte. Pas le meilleur endroit du monde, mais il était dehors, elle n'allait pas chipoter parce qu'il n'avait pas fait le chemin jusqu'à la cour.

Martel, par contre, traversa le petit bois qui reliait les dortoirs au bâtiment principal de l'école. La cour était déserte, les quelques élèves ayant des cours ou des groupes de soutien le samedi y étaient encore, ou bien avaient déjà rejoint leur chambre ou la salle commune. A vrai dire, la seule présence vivante dans la cour était un jeune homme, escorté par un policier, qui rejoignait l'intérieur avec un air morose. Légèrement curieuse, et parce que ça faisait aussi partie de son travail, Martel les suivit, rentrant dans le bâtiment peu de temps après eux. Déjà, Garance, sa collègue chargée de l'accueil, saluait le nouveau venu, un sourire doux sur le visage.

- Bienvenue à S'Indarë.

Elle salua aussi le policier d'un signe de tête, comme si elle le connaissait - ce qui était sûrement le cas, d'ailleurs, vu que seuls les élèves et anciens élèves avaient le droit de franchir les grilles de l'école. Elle devait le voir assez régulièrement, la brigade magique de la police londonienne n'était pas si fournie que ça en volontaires pour accompagner les adolescents jusqu'à l'école.

- Les formulaires d'admission sont déjà remplis. Je vais te donner une copie du règlement de l'école à signer et ton emploi du temps. Et t'expliquer quelques détails. Et Mike, tu peux partir, je m'occupe de la suite.

Le policier ne se fit pas prier et s'éloigna sur un dernier signe de la main. Ensuite de quoi Garance fit signe à Martel de s'approcher et celle-ci soupira. Ça lui apprendrait à être curieuse, elle se retrouvait assignée par défaut à la sécurité de l'entretien. Mais elle suivit le nouvel élève et sa collègue dans le bureau de celle-ci, fermant la porte derrière elle en s'adossant contre le battant.

- Alors... Noah Myers, c'est ça ? Voilà tes documents. Maintenant je vais te poser une question. Est-ce que tu as constaté quelque chose de bizarre en toi en entrant ? Un mal de tête, une sensation normale, un changement ?

Ou la manière douce et délicate de demander "est-ce que tu t'es transformé" ou "est-ce que tu as un pouvoir qui risque de m'exploser à la figure dans les trois prochaines minutes".

Il y avait quelque chose dans l'attitude de ce garçon, dans sa posture et dans le ton de sa voix quand il s'était adressé au policier (malpoli, d'ailleurs), le claquement de langue, le regard... Quelque chose qui lui évoquait sa période de lycée, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur l'idée qui lui trottait dans la tête. Tandis qu'elle essayait de saisir ce qui lui échappait, elle suivit les deux autres à l'intérieur du bureau, s'adossant contre la porte tandis que sa collègue donnait les papiers au nouveau venu puis lui posait la question. La fameuse...
Et sa réponse fit enfin venir ce qu'elle avait sur le bout de la langue. Ah, oui. Comment avait-elle pu ne pas le comprendre plus tôt ? Il lui faisait penser à Sanada jeune. Pas le meilleur compliment du monde, mais heureusement, elle avait assez grandi pour ne pas qualifier le nouvel élève de tête à claques. Ou au moins pour ne pas prendre l'expression au sens littéral.

En tout cas, s'il avait changé, c'était une transformation encore discrète et il ne s'en était pas encore aperçu. Il allait vide le remarquer, cela dit, dès qu'il côtoierait ses nouveaux camarades de classe. Certains avaient des transformations qui passaient... difficilement inaperçues. Avec la queue de lézard qui dépassait à peine le milieu de ses cuisses, Martel s'en sortait bien.
Elle tiqua à sa question. "C'est qui elle" ? A une époque, elle aurait réagi pour moins que ça. Mais elle avait évolué, entre temps, et elle n'allait pas s'énerver contre un gamin qui avait vingt ans de moins qu'elle et qui ne lui rendait même pas dix centimètres. Elle se contenta d'un haussement d'épaule.

- La surveillante qu'on a visiblement chargée de garder un œil sur cet entretien, déclara-t-elle d'un ton neutre en lançant un regard explicite à sa collègue.

Garance soupira en sortant une autre feuille de son dossier, prenant quand même la peine de répondre véritablement à sa question :

- Mme Raykin est une des surveillantes de l'établissement. Et une de nos anciennes élèves. Elle va se charger de te faire visiter une partie de l'école.

Martel retint de justesse la protestation qui allait franchir ses lèvres. Comment ça, lui faire visiter l'école ? Ça n'était pas du tout son travail et elle avait eu largement assez des deux semaines où elle l'avait remplacée l'année précédente ! Mais elle ne voulait pas montrer de dissensions dans l'administration de l'école et elle resta silencieuse tandis que sa collègue tournait la feuille vers l'adolescent.

- Ce sont les informations de ton dossier qui m'ont été transmises à ton inscription. J'aimerais que tu vérifies si elles sont exactes.

De la paperasse classique : nom, prénom, date et lieu de naissance, raison d'incarcération, ce genre de choses. Toujours appuyée contre sa porte, Martel ruminait le nouveau job qu'on lui avait donné plus ou moins contre son gré. Enfin, tant que quelqu'un d'autre se chargeait d'expliquer le sujet "magie", ça lui allait. Elle avait déjà donné, quand elle avait dû expliquer ça à un gamin qui avait failli faire une syncope en voyant passer une camarade à cornes.

- Ensuite on te conduira à ta chambre, pour que tu puisses déposer tes affaires.

Ça lui apprendrait à jouer les curieuse. Voilà qu'en étant au mauvais endroit au mauvais moment, elle se retrouvait à redevenir guide de rechange pour satisfaire la flemme monumentale de sa collègue. Elle avait beaucoup d'élèves à accueillir chaque jour et qu'elle y risquait parfois sa vie (quoiqu'avec son pouvoir pas trop), mais Martel aussi avait son lot de risques en surveillant tous ces gosses dans la journée, d'autant qu'elle, elle pouvait mourir. Elle n'avait pas besoin de plus de boulot. Pendant que Garance gérait les derniers papiers, le regard de Martel dériva vers la fenêtre. A quel point était-elle censée lui expliquer ? Parce que lui faire visiter l'école, c'était bien gentil et largement dans ses cordes, mais si son pouvoir ou sa race se manifestait ? Elle n'était pas censée se charger de faire cette révélation, même Rehrin lui avait dit qu'elle manquait de "tact".
Enfin venant d'un gars qui avait dû la supporter comme élève, ce n'était pas forcément très objectif.

Le ton de sa voix, sa façon de parler... ça manquait d'une ironie clairement personnelle mais elle avait quand même l'impression de revivre une partie de son adolescence. C'était déconcertant et presque agaçant. Garance secoua doucement la tête avant de ranger le dossier de l'adolescent dans un tiroir de son bureau.

- Tout est signé. Pour le reste tu finiras par le découvrir tout seul à ta première semaine de cours. Je serais là si tu as des questions.

Martel leva les yeux au ciel. Allons bon, voilà qu'elle faisait dans le mystique, maintenant. Même si elle avait peur qu'il ne les croit pas et les prenne pour des folles, pourquoi ne pas juste lui dire à quoi s'attendre ? Au pire il paniquerait, au mieux il ne les croirait pas, et au meilleur cas possible, il serait content.

- Arrête de faire des mystères, Garance. Ça n'aide personne.

Sa collègue lui retourna un regard noir mais elle se contenta de hausser les épaules. Elle ne comprenait pas l'intérêt de leur cacher. Déjà, l'histoire des cristaux se répandait tellement vite d'élève en élève que l'idée de ne plus en parler aux nouveaux venus n'avait aucun sens. Ils voulaient éviter la discrimination par cristal mais ça n'avait rien changé, à part qu'ils cherchaient des réponses entre eux... et risquaient donc d'être plus facilement influencés dans leur opinion.
Ça n'empêcha pas sa collègue de ne pas expliciter la situation, et Martel soupira.

- Bon. Ton nom c'est... Noah, c'est ça ? Suis-moi, je vais te montrer ta résidence.

Il avait l'air excédé, de toute manière, autant le laisser se reposer. Il semblait plus que pressé de se cloîtrer dans sa chambre.

Eh bien, au moins elle avait pu constater qu'il savait afficher une autre expression que son air renfrogné. Ce n'était pas un sourire et elle ne s'y serait pas attendu de la part d'un nouvel élève de l'école (trop de chances qu'il soit là à cause de gros problèmes personnels), mais c'était toujours mieux que l'alternance d'exaspération et de dégoût qu'il démontrait depuis tout à l'heure. Sans doute était-il bien plus épuisé qu'elle ne l'avait jaugé de prime abord. peut-être était-ce mieux de remettre la visite complète à plus tard ? Elle doutait qu'il soit volontaire pour faire le tour des trois bâtiments, de la cour et du quartier des résidences où il allait loger. Elle adressa un dernier regard à Garance, comme pour l'inciter à lui expliquer tout le reste, mais celle-ci se contenta de secouer la tête à nouveau. D'accord, donc elle préférait laisser les élèves dans le noir plutôt que risquer qu'il ne la croie pas ? Si elle faisait ça à chaque fois, pas étonnant que certains le vivent mal.

Martel sortit du bureau, lui laissant le loisir de le suivre avant de refermer la porte derrière eux. Il semblait déjà plongé dans le règlement de l'école et vu les expressions qui se succédaient sur son visage, ça n'avait pas l'air de l'enchanter. Enfin... il s'y ferait. Elle ne connaissait pas ses conditions spécifiques vu qu'elle n'avait pas la moindre idée de qui il était, mais elles étaient généralement plus dures à avaler que le règlement lui-même.
Sa réaction subite la fait tressaillir, et elle tourne la tête.
Ah, bah tiens. Vu sa protestation, il avait visiblement atteint lesdites conditions spécifiques dures à avaler.

- C'est la procédure parce que tu es là suite à des problèmes psychologiques. Ça doit avoir été décidé par le juge, ils ne prescrivent pas des rendez-vous sans ça.

Un gamin qui ne peut pas gérer ses problèmes lui-même, hm ? Ouais, une chose était sûre, s'ils lui avaient donné des rendez-vous avec le psy auquel elle pensait, c'est que ces deux-là allaient soit très bien s'entendre, soit s'entretuer. Ou peut-être les deux à tour de rôle. Mieux valait peut-être qu'ils ne se croisent jamais, en fait. Les deux cas étaient aussi dangereux l'un que l'autre pour le bien de l'école.

La cour était toujours aussi déserte quand ils quittèrent le bâtiment A. Avant de s'aventurer en direction de la bordée d'arbres à peine qualifiable de "bois" qui séparait la cour du secteur dortoirs et résidences, Martel se tourna vers l'adolescent.

- Comme tu as plus l'air de vouloir dormir que marcher, je vais te faire la version rapide. Le bâtiment dont on vient de sortir est le bâtiment A, celui des psys, profs, infirmerie, ce genre de choses.

Celui dans lequel on ne mettait jamais quand tout allait bien. Elle désigna ensuite le bâtiment voisin, le plus haut, relié à un troisième par des passerelles au premier étage.

- Ça c'est le bâtiment B où on lieu la quasi-totalité des cours, sauf ceux marqués en violet qui ont lieu dans le C, à côté.

Les fameux cours dont Garance n'avait pas parlé. Martel avait plus ou moins pris la décision de lui expliquer ce dont il s'agissait quand ils atteindraient sa résidence. Et s'il ne la croyait pas eh bien... elle avait quelques manières de lui prouver.

- Et ta chambre est par là, ajouta-t-elle en désignant la direction qu'ils allaient prendre d'un signe de tête.

Eh bien, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il n'était vraiment pas content d'avoir ces rendez-vous obligatoires chez le psy. Malheureusement pour lui, les décisions des juges étaient difficilement révocables, et à moins qu'il ne montre un comportement miraculeusement exempt des troubles mentaux qu'on lui avait détectés, quels qu'ils soient, il était parti pour se coltiner longtemps ces rendez-vous. Plus qu'un sale gosse comme beaucoup à son âge, il semblait surtout profondément révolté à l'idée que quelqu'un prétende savoir mieux que lui ce dont il avait besoin. Comme beaucoup d'adolescents qui avaient souffert et voulaient s'en sortir seuls, en somme. Ou de gens, de manière générale.
Parfaitement le genre qu'un psy mettrait des années à faire parler, s'il pouvait lui tirer ne serait-ce qu'un grognement agacé avant la fin de sa scolarité. Enfin bon, heureusement, ce n'était pas elle qui payait les frais psychologiques lancés par les fenêtres.

Le laissant exprimer sa colère sans chercher à le contredire - pour quoi faire ? Il n'avait pas spécialement tort de toute manière - elle attendit quelques instants et repris ses explications calmement, sans plus de jugement dans sa voix qu'avant qu'il n'ouvre la bouche. A vrai dire, elle n'était pas là pour le forcer à apprécier les conditions de son incarcération, de base elle n'aurait même jamais dû être chargée de l'accueillir, alors il pouvait bien insulter l'administration à sa guise. Elle l'avait fait avant lui, pour chaque heure de colle qu'elle avait reçue dans sa scolarité, et bien d'autres le feraient après eux.

Dès qu'elle mentionna le bâtiment C, cependant, elle le vit sortir son emploi du temps et elle sut qu'il jetait un œil aux fameux "cours en violet". Ah. Voilà. Le moment où il allait soit penser qu'il avait atterri chez des gens tarés, soit halluciner complètement. Ou, vu l'expression de son visage, peut-être un peu des deux. C'était toujours un peu délicat pour ceux qui ne connaissaient pas du tout l'existence de la magie et qui n'avaient aucune transformation visible à leur arriver. Et Martel soupçonnait presque Garance de lui avoir laissé la mission exprès, comme si elle était mieux placée qu'elle pour expliquer. Sans doute qu'elle avait la flemme, aujourd'hui. Elle lui ferait regretter de lui avoir refilé son job...

Mais pas pour l'instant. Pour l'instant, elle guidait le garçon toujours surpris sur le sentier qui reliait la cour au quartier des résidences, et elle bifurqua à l'écart du bâtiment des dortoirs. Ça ne fut pas très long ; la distance était moindre et Martel marchait assez rapidement. Vu qu'il était pressé de dormir et probablement encore en train d'essayer de comprendre ce qui venait de lui tomber dessus, elle ne voulait pas lui imposer en plus de traîner sur le chemin. Elle sortit son téléphone quelques instants pour vérifier le numéro de la résidence qui lui avait été attribué, puis elle le conduisit jusqu'à l'endroit en question. Un petit bâtiment individuel, une espèce de mini-studio pas beaucoup plus grand que les chambres des dortoirs.

- La clef doit être dans les papiers qu'elle t'a donné Je vais t'expliquer ce que ma collègue n'a pas tenu à te dire, parce que je ne vois pas l'intérêt de le cacher.

Elle voyait le gros inconvénient à le cacher, par contre. Du style la syncope qu'il risquait de faire quand il croiserait son premier camarade avec des cornes ou des ailes. Elle attendit donc qu'il lui donne la clef ou qu'il ouvre la porte afin qu'ils puisse s'installer à l'intérieur pour qu'elle lui expose ces histories de magie.
Quitte à ce qu'il la prenne pour une folle, elle n'était pas à ça près.

Maintenant qu'ils étaient arrivés à la résidence, Martel laissa le jeune homme ouvrir la porte de l'endroit où il logerait jusqu'à nouvel ordre. A vrai dire, les résidences n'étaient pas trop mal : les élèves disposaient de leur propre salle de bain et de globalement plus d'espace, en contrepartie du bracelet à la cheville, des conditions durcies et des caméras de surveillance. Pas sûrs qu'ils gagnent au change, à moins d'être véritablement antisocial... ou pudique. Elle lui laissa la possibilité de découvrir un peu son nouveau logement avant qu'il pose son sac par terre et se tourne vers elle avec une question. Une seule. La plus importante s'il tenait à faire long feu dans cette école, si on y réfléchissait.

D'un signe de tête, Martel l'invita à s'asseoir tandis qu'elle s'installait sur le coin de son bureau, prenant quelques instants pour réfléchir aux mots qu'elle allait employer. Quand elle avait remplacé Garance la première fois, elle faisait face à un élève qui était né non-humain et qui connaissait suffisamment la magie pour ne pas paniquer quand il avait vu ses cheveux prendre feu - la force de l'habitude. Là, elle faisait face à quelqu'un qui n'y connaissait rien. Avant de franchir les grilles, avant de voir ce mot sur son emploi du temps, il ignorait probablement tout de l'existence de la magie, et il devait encore en douter. Par quoi commencer, alors ?

- Je vais essayer d'être claire et de commencer par les bases. l'école a été construite dans une zone magique. C'est un concept compliqué, on t'en parlera plus dans les cours concernés, mais pour faire simple : celle de Londres, dans laquelle on se trouve, transforme les gens, et leur donne un pouvoir.

Ça, c'était la partie théorique. La partie où on devait souvent avoir pour réponse un "vous vous foutez de moi ?" et autres réactions insinuant clairement que la personne racontant cette histoire était soit folle, soit en train de faire une très mauvaise blague. Elle passa une main sur son menton pour s'accorder un instant de réflexion, puis elle reprit.

- Chez certaines personnes, le changement est discret, on peu prendre du temps à savoir de quoi il s'agit. Chez d'autres, c'est plus... visible.

Il s'en rendrait compte par lui-même quand il commencerait à croiser des camarades avec des ailes, des écailles, des membres qui n'auraient pas dû être là ou des corps un peu trop inhumains. Pour illustrer son propos sans avoir à rendre sa queue de lézard visible, vu qu'elle portait une jupe trop longue pour ça et quelle ne tenait pas vraiment à soulever ses vêtement, elle passa sa main sur le coin du bureau pour y tracer une toute petite éraflure, qui disparut dans la seconde, presque instantanément guérie par sa capacité de régénération.

- Pour l'instant, le cours de magie est surtout là pour savoir ce que tu as obtenu. Ensuite on t'apprendra à le maîtriser, pour éviter les accidents.

Elle avait probablement fait le tour des sujets "autorisés", c'est-à-dire tout ce qui ne concernait pas les cristaux et leur inutile secret mal gardé.

Il semblait sceptique, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir. Tout, de ses haussements de sourcils au mouvement de ses yeux et de ses mains, témoignait qu'il ne la croyait pas, ou pas vraiment. Qui aurait cru à une histoire pareille sans preuve, en même temps ? Elle-même, si on lui avait raconté cette histoire de magie de but en blanc comme ça, elle aurait eu du mal à l'avaler. A l'époque, elle avait découvert sa transformation d'elle-même, donc elle n'avait pas vraiment eu la possibilité de douter, mais lui n'avait rien de visible, pas étonnant qu'il n'en croit pas un mot. Alors elle se blessa volontairement à la main, histoire qu'il ait au moins un aperçu de ses capacités de régénération. Trop rapides pour être humaines.

Elle ne savait pas s'il était convaincu mais, en tout cas, il affichait une expression clairement différente de tout à l'heure. Pas d'air sceptique ou vaguement incrédule, mais il semblait toujours en proie à la réflexion. Il lui faudrait sûrement du temps pour assimiler tout ça.

- Euh...attendez...Quand on passe les grilles de l’école c’est systématique ? On change ?
- Oui.

Martel ne prit pas la peine d'essayer d'adoucir cette affirmation. La possibilité de rester humain était rare mais, même avec ça, il n'y avait jamais eu aucun cas de personne ne développant pas de pouvoir, donc il y avait un changement. Les détails sur les transformation, la possibilité qu'il ait gardé son humanité, étaient trop flous et trop nébuleux pour une première explication. Ses professeurs s'en chargeraient plus tard.
Ça ne l'empêcha pas de demander plus d'informations sur les changements en question. C'était compréhensible, ça devait faire un drôle d'effet de se voir annoncer qu'on avait changé, alors qu'on en avait pas l'impression.

Elle prit une inspiration le temps de réfléchir à ses paroles. A vrai dire, des dizaines de personnes auraient pu l'initier aux effets de la zone magique mieux qu'elle. Pour elle, ça n'avait toujours été qu'un amas de théories sur lesquelles elle n'arrivaient pas à se fixer et dont elle n'avait gardé que le principal : tu entres, tu changes. Le reste, en dehors de la modification des gènes, n'avait jamais vraiment été élucidé par personne.

- Les gens qui franchissent les grilles de l'école ne sont plus humains, à part... quelques très rares exceptions. Si tu veux un exemple concret, je suis un lézard, d'où la capacité de régénération... et la queue de reptile que tu ne peux pas voir.

Elle l'observa un instant. Lui ne semblait avoir rien de visible. Son visage paraissait humain, son corps, du peu qu'elle pouvait en voir sans le fixer, aussi. Ce ne serait pas le premier à avoir une transformation invisible.

- Quant à toi, je ne sais pas. Tu as l'air tout à fait humain mais ça ne veut rien dire, certaines races n'ont pas d'apparence spécifique.

Il suffisait de prendre l'exemple de Naomi, sa nièce, dont la race lui permettait juste de changer de couleur. Elle paraissait humaine en tout point - tant qu'elle ne jouait pas à avoir la peau violette ou bleue, évidemment.