Il arrive rarement qu’Ian perde patience et s’agace. Et actuellement c’est le cas. Ce n’est en aucun cas à cause de la jeune fille silencieuse, installée en face de lui, mais principalement parce que son ancien collègue, qui était censé l’avoir à sa charge, n’a pas fait son travail correctement et a obligé l’incube à gérer la situation à tâtons. C’est particulièrement agaçant. Cela dit, il est maintenant habitué à rattraper ses erreurs et à recommencer du début, mais pour les patients, c’est souvent désagréable, et il ne peut que s’en excuser.
Il s’est donc retrouvé à s’occuper de la jeune Edelweiss, qui visiblement, ne montre aucun signe d’une quelconque intention de s’ouvrir. Ce n’est pas grave. Ça prendra le temps qu’il faut. Ian est patient. C’est sa force. Et il va le montrer à partir de maintenant. Il garde son éternel sourire apaisant et la regarde avec douceur. Si elle ne veut pas partager ses craintes et ses problèmes, par peur d’être jugée, ou encore pour ne pas se les rappeler, alors elle ne devrait pas être contre partager ses joies et ses moments de rire, non ?
Le psychologue se lève pour se diriger vers la bouilloire et sa boîte à thés. Il la prend, ainsi que deux tasses, et les pose doucement devant elle avec un sourire, commençant à se servir.
▬ Tu aimes le thé ? Si tu en veux n’hésite pas. Il commence à faire frais ces temps-ci.
Quand la jeune fille décline sa proposition de lui servir du thé, Ian n’est pas ébranlé. Il s’y attendait. Il continue de se servir en gardant un sourire doux puis se réinstalle dans son fauteuil. C’est la première fois qu’ils se voient. Normalement, un psychologue n’est pas censé parler de lui… Mais avec elle, il se dit que c’est peut-être la méthode à prendre pour la détendre. Il s’agit juste de discuter, et de trouver ensemble des solutions aux problèmes rencontrés. Mais il a surtout l’impression que, d’abord, il doit la détendre, la mettre en confiance. Il récupère sa tasse et touille distraitement le liquide avec sa cuillère, fixant le tourbillon qui se créer progressivement.
▬ C’est la première fois qu’on se rencontre, donc je pense que c’est une bonne idée de se présenter. Je m’appelle Ian Stevens. Tu peux m’appeler Ian si l’envie te prend, ou monsieur, peu importe, choisis ce qui te mets le plus à l’aise. C’est très simple, ici, c’est moi qui m’adapte à ta façon de fonctionner.
Il lève les yeux vers elle et lui sourit. Il la laisse tranquillement assimiler l’information. Ce n’est pas toujours évident pour des adolescents de venir voir un psy. Ils se braquent souvent par fierté ou alors simplement parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils sont là. Il ne sait pas encore quel est le cas pour la jeune Edelweiss mais il veut qu'elle comprenne que c'est elle qui décide ici.
Petite victoire pour le cher psychologue. En voyant la surprise sur son visage, une surprise tout de même discrète, il sourit un peu plus largement. Elle hésite pendant un léger temps, pendant lequel Ian lui lance un regard d’encouragement. Puis elle finit par se présenter et lui dire qu’elle l’appellera « monsieur ». Pas étonnant. Elle n’a pas l’air habituée à dire ses sentiments. Ou peut-être se l’interdit-elle ? Si c’est le cas, c’est triste…
▬ Enchanté Edelweiss. Je suis ravi de faire ta connaissance. Et je te le permets, c’est toi qui commandes ici.
Il boit une gorgée de thé avant de reposer la tasse et lui fait un petit sourire complice. Il va peut-être mettre du temps avant de briser le mur qu’elle a soigneusement construit entre eux… Mais il a bien l’intention de continuer à retirer les pierres, une par une, même s’il doit le faire à mains nues.
▬ Je ne peux pas te faire faire ou dire quelque chose que tu ne veux pas. C’est toi qui vas organiser nos entrevues. On peut autant se détendre autour d’une tasse de thé, jouer à des jeux, ou discuter de nos vies, je suis très doué pour parler des potins de l’école~ Hmm… sinon…qu’est-ce qu’on pourrait faire d’amusant ?…
Il lève les yeux au plafond, réfléchissant sérieusement à des activités qui pourraient rendre ces heures de silence un peu plus agréables.
Bon, apparemment, elle ne comprend pas ce qu’il veut faire. C’est normal. Il sort un peu de ses habitudes pour elle. Il tâtonne beaucoup. Il se met doucement à rire, se grattant l’arrière de la tête. Ce qu’il essaye de faire, il le sait, il essaye de la détendre mais visiblement…ce n’est pas la bonne technique. Il sourit en coin et la regarde, un peu gêné.
▬ J’essaye juste de trouver quelque chose à faire… Je me doute que tu n’aies pas envie de parler et je respecte ça. J’ai juste envie d’éviter que cette heure soit une perte de temps pour tous les deux…
Il choisit donc l’honnêteté. Il n’a pas envie de faire semblant, il déteste ça. Jusqu’à maintenant, il a toujours dit ce qu’il pense, et il n’a pas l’intention de changer. L’honnêteté a toujours fonctionné pour lui. Il lui sourit un peu plus tendrement et s’enfonce dans son fauteuil, poussant un long soupire.
▬ Donc je me suis dit que c’était peut-être une bonne idée d’apprendre à se connaitre un peu autour d’une activité… C’est stupide ?
Il pose son regard vert sur elle et sourit un peu timidement. Il n’est pas intimidé. Mais il ne sait surtout pas où il va. Il tente. Elle ne va certainement pas parler d’elle, du moins, il espère que ça viendra avec le temps et qu’elle trouvera quelque part en elle, la motivation de changer les choses de ses propres forces.
Il ne sait pas si la carte de l’honnêteté fonctionnera avec elle mais il ne risque rien à tenter. Ils partent de zéro après tout, et quand on est tout au fond, on ne peut que se relever. Il sourit alors qu’elle hausse les épaules en soupirant. Cette fille est désintéressée de tout. Peut-être qu’il y a bien quelque chose à faire avec elle finalement. Elle lui a l’air d’être bien ancrée dans une dépression... Dont elle aurait plus ou moins conscience ? Elle n’a peut-être pas conscience qu’elle va mal ? Ça arrive parfois… Il se met à réfléchir, gardant son sourire alors qu’elle lui informe que sa vie n’est pas intéressante. Bingo. Elle lui tend la première perche de la séance, lui donnant assez d’infos sur elle pour qu’il puisse lui donner un conseil. Il sourit tendrement et se redresse.
▬ Est-ce que tu essayes de faire en sorte qu’elle le soit ? Tu sais, il n’y a pas une vie qui ne soit pas intéressante. Elles le sont toutes à leur manière.
Il récupère sa tasse de thé pour prendre une gorgée et réfléchir à ce qu’il pourrait lui dire ensuite. Il reste doux, parlant avec un ton apaisant.
▬ C’est facile de rendre une vie intéressante. Il suffit de la vivre à fond, et d’en être l’acteur, pas le spectateur. Donc je suis sûr que tu as des choses à raconter. Qu'elles soient bonnes ou mauvaises.
Pas de réponse venant d’elle. Mais Ian n’est pas si surpris. Parfois, un silence veut dire beaucoup plus de choses que des paroles. Parfois même, la vérité ressort dans le silence. Et Ian a cette impression que, pour la première fois depuis le début de la séance, il a réussi à la toucher, à l’atteindre. Que ce soit en bien ou en mal. Car toutes les émotions sont bonnes à être ressenties et écoutées. Il sourit tristement, remarquant ses doigts se serrer doucement.
▬ Edelweiss. Je ne sais pas ce qu’il t’est arrivé. Alors je tâtonne un peu…pardonne-moi si je suis à côté de la plaque mais… J’ai l’impression que tu ne te rends pas compte de ce qui t’entoure vraiment. Ta naissance est un miracle, le fait que tu grandisses chaque jour, physiquement et mentalement est aussi incroyable. Les relations que tu peux développer avec les gens aussi. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Et tes sentiments, les émotions que tu ressens le sont encore plus. Parce qu’elles te sont propres.
Il se tait un instant et détourne le regard, se grattant l’arrière de la tête. Ça a du sens ce qu’il dit ? Il se met doucement à sourire, un peu gêné et lance.
▬ Ce qui m’intéresse le plus actuellement…c’est ce que tu ressens. Je te trouve très mystérieuse.
Il la regarde et lui sourit largement. Il n’aime pas savoir qu’elle se trouve inintéressante. Car c’est totalement faux. Elle l’intrigue beaucoup.
Quand quelqu’un garde le silence, il y a plusieurs raisons. Soit il ne veut pas en parler, soit il ne trouve pas les mots, soit il pense qu’il n’y a aucun problème. Ian ne sait pas encore la raison du silence de la jeune Edelweiss, mais si elle se persuadait qu’il n’y a pas de problèmes, il aura du mal à la croire. Une larme n’est pas là pour rien. Il se tait et l’observe. Cet entretien n’aura pas été complètement inutile. Certes, il est encore un peu perdu mais il a eu quelques indices qui lui prouvent qu’elle a besoin de lui. Il se lève pour aller chercher les mouchoirs qu’il lui tend doucement, une expression douce sur le visage.
Ce qu’il a dit a donc remuer quelque chose en elle. D’un côté, il se félicite car cela va peut-être faire avancer les choses mais d’un autre côté…ce n’est jamais agréable de faire pleurer quelqu’un. Il inspire profondément. Il ne veut pas vraiment continuer sur cette voie. Il ne veut pas la blesser plus que cela. Ce n’est pas le but mais…cette larme l’intrigue. Elle doit avoir des choses qui veulent sortir. Des choses qui pourrissent en elle, pour qu’une parole se voulant encourageante et bienveillante lui fasse du mal…
▬ Edelweiss. Si tu as quelque chose que tu gardes pour toi… et qui te fait réagir de cette manière face à des paroles encourageantes. Pourquoi refuses-tu de la faire sortir ?