Soyons subtils [Ian]

La chaleur montait dans ses veines, plus vite que dans ses souvenirs. Difficile de savoir si c'était l'aura d'Ian ou le manque qu'il avait réprimé pendant de longues années, mais le contact de l'incube lui paraissait en cet instant plus vital que de l'eau. Il ne séparait leurs lèvres que pour quelques brève inspirations irrégulières, chargées d'anticipation. Une main toujours dans ses cheveux, il s'équilibra instinctivement de l'autre en sentant le bureau contre ses jambes ; sa paume glissa sur une feuille, mais trouva rapidement une prise stable en même temps qu'un long frisson remontait sur sa peau, entraîné par les mains qui se glissaient contre son dos..

Les barrières mentales érigées par son obsession du travail cédaient sans résistance au désir qui comprimait sa poitrine. Difficile de savoir depuis combien de temps cette attirance rongeait son frein dans un coin de sa tête en attendant sa chance, mais elle profitait sans regret de l'opportunité. Dorian ôta sa main des cheveux d'Ian pour glisser à l'aveugle le long de son cou jusqu'au premier bouton de sa chemise. Aucune hésitation n'arrêta le mouvement de ses doigts pour l'ouvrir, ni celui-ci ni les deux suivants. Employé ou pas employé, au fond, il avait raison : il restait un homme, et terriblement séduisant avec ça. Un homme qu'il avait de plus en plus envie de sentir contre lui, et pas seulement les mains qui se promenaient sans gêne sous sa chemise...

Les boutons cédaient un par un sous ses doigts, au rythme saccadé de sa respiration. Pour la première fois depuis qu'elles s'étaient rejointes, leurs lèvres se séparèrent vraiment, pour plus de quelques secondes. Un sourire, un regard rubis brûlant de tentation, et il vint plonger ses lèvres dans son cou, lui arrachant un soupir tremblotant.
Un début de fébrilité que la nudité se dévoilant peu à peu sous ses yeux était loin de calmer, bien au contraire.

Savoir que ce n'était pas sa véritable apparence avait un côté perturbant, et attisait aussi une forme de curiosité, qu'il laissa de côté pour explorer sans timidité le torse parfaitement sculpté qui s'offrait à son regard. Il devait bien admettre que son physique n'avait rien à envier aux quelques fantasmes qui parvenaient parfois à s'infiltrer à travers sa barrière d'accro au travail. Ce qui n'était probablement pas un simple coup de chance, en fait.

La chemise de l'incube glissa le long de ses bras et sa propre veste ne tarda pas à suivre le même chemin, jetée négligemment sur un fauteuil. Et aussi rapidement qu'elles s'étaient réparées, leurs lèvres se retrouvèrent. Appuyé des deux mains sur le bord de son bureau, Dorian intensifia leur baiser, porté par la tension qui montait à chaque geste. Paradoxalement, sa chemise lui tenait bien plus chaud maintenant que sa veste avait quitté ses épaules, et seul le jeu de leurs lèvres repoussait la tentation de l'aider à la retirer.
Ian avait tant insisté pour le mettre à nu, ç'aurait été dommage de lui ôter ce privilège ~

Une part de conscience tentait maladroitement de se frayer un chemin dans ses pensées, mais il ne la percevait pas vraiment. Les lèvres qui se promenaient sur sa peau, les baisers, les mordillements... Tout contribuait à anesthésier la partie raisonnable de son esprit, comme si elle avait perdu la partie dès l'instant où il avait accepté de céder aux avances d'un de ses employés.

Dorian pinça les lèvres par réflexe après un soupir plus sonore que les autres et retint un instant sa respiration. Ce fut suffisant pour ramener une partie de sa conscience à la surface. Conscience des lieux, surtout. De sa secrétaire dans le bureau voisin, de la possibilité que n'importe qui entre même simplement pour lui poser une question, ou que quelqu'un de l'autre côté de la porte entende quelque chose à un moment où un autre...

Ian le prit de vitesse mais la réflexion s'était aussi installée dans sa tête.

- Ailleurs, oui c'est... probablement une meilleure idée...

Les risques étaient trop grand pour qu'il accepte de les prendre. Il se racla la gorge, se faisant violence pour détourner le regard et ne pas se laisser absorber par la silhouette tentatrice à moitié nue qui lui faisait face. Ailleurs, oui... Qu'avait-il en tête pour aller aussi loin, ici ? C'était beaucoup trop dangereux. Il entreprit de refermer maladroitement sa chemise, releva les yeux une seconde et les rabaissa pour se concentrer sur sa tenue.
Il avait vraiment un peu trop bien choisi sa nouvelle apparence.

La lucidité revenait lentement. Il s'était laissé emporter avec une facilité qui le déconcertait lui-même. Un baiser, un contact, un regard, il ne lui avait pas fallu grand-chose... Chaque bouton de sa chemise qu'il refermait tant bien que mal semblait lui redonner un peu de consistance, sans répondre à la question qui deviendrait essentielle dans quelques instants.
Avait-il vraiment envie de prendre un tel risque ?

Le dernier baiser que lui accorda Ian avant de quitter son bureau lui fournit un semblant de réponse. Il aurait été facile de l'accuser d'avoir chercher à le manipuler, mais c'était lui qui avait décidé, en toute conscience, de défaire sa cravate. Il regarda la porte de son bureau avec un long instant d'hésitation. Le rejoindre, c'était faire une entorse à son éthique. Et rester... Rester lui creusait le ventre de frustration. Personne ne le saura, souffla une voix au fond de sa tête. Il posa la main contre la porte, finit par sortir. Il ne pouvait pas travailler tout le temps. Il ne forçait personne. Il avait besoin d'une pause. Son esprit tourna en boucle sur une série de justifications jusqu'à ce qu'il atteigne l'étage.

Il hésita encore un moment. Il suffisait de frapper, mais c'était un choix plus difficile qu'il n'aurait pu l'anticiper. Sa main se rétracta. Il faillit faire demi-tour, mais le goût des lèvres qu'il avait eu tant de mal à lâcher revint flotter à l'orée de son esprit. Alors il frappa.
Quitte à avoir fait une entorse à ses principes, autant la faire jusqu'au bout.

La porte s'ouvre vite, comme s'il l'avait senti arrivé. peut-être que c'est le cas, ou peut-être qu'il l'attendait juste. Une chose est sûre, il n'aura fallu que quelques secondes pour que Dorian se retrouve entrainé à l'intérieur, et que la porte se referme derrière lui. Il pourrait encore faire demi-tour, changer d'avis, reléguer les événements de son bureau à une petite expérience hors des clous qu'il devrait s'efforcer d'oublier.

Mais il était là. Le simple fait d'avoir franchi cette porte contredisait toute volonté de ne pas aller plus loin. Il y avait ce regard tenté, inquisiteur, qui semblait le détailler sous toutes les coutures, ou l'imaginer sans ; il y avait la ligne de son cou et de sa clavicule qui se dessinait dans le col entrouvert de sa chemise. Dorian avança sa main, longea du bout des doigts la ligne de sa mâchoire. Sa vraie apparence n'était pas si différente de celle qu'il avait revêtue dans son bureau... et l'effet magnétique qu'il avait sur lui ne l'était pas du tout.

Il brisa la distance qui séparait et s'empara de ses lèvres, glissant son autre main dans son dos pour l'attirer vers lui. La sensation de ses lèvres contre son torse s'était gravée au fer rouge dans sa mémoire, tout comme celle de sa peau sous ses doigts. Si son regard chargé de désir était une invitation, Dorian peinait à trouver la volonté de la refuser. Mais sa simple présence ici le prouvait déjà.

La tension qui avait réussi à baisser pendant les quelques minutes où ils étaient séparés remonta en quelques secondes. Un simple baiser avait suffi à rappeler ceux partagés dans son bureau, et tout le désir qui y était associé. Dorian se laissa entraîner. Il avait envie de lui, que ce soit correct ou non n'entrait plus en ligne de compte.

Il se retrouva rapidement séparé lui, cependant, repoussé contre le canapé. Son regard s'accrocha aussitôt aux mouvements de l'incube, observant chaque bouton qui se défaisait sous ses doigts, absorbé par chaque centimètre de peau qui se dévoilait. Un instant, il se mordit la lèvre, s'efforçant de juguler son imagination. Son vrai corps n'avait clairement rien à envier à l'apparence qu'il avait revêtue un peu plus tôt. Ses yeux longèrent la ligne subtile de ses muscles, jusqu'à ce que sa main vienne presque inconsciemment suivre leur exemple, glissant contre son ventre puis vers sa hanche. Il survola sa peau, hésitant entre l'attirer vers lui ou le laisser continuer son petit jeu de séduction - les deux idées étaient tout aussi plaisantes l'une que l'autre.

Finalement, la tentation fut plus forte et il glissa le bout de son index entre son jean et sa peau, tirant doucement sur le tissu, plus pour l'inciter à se rapprocher que pour véritablement l'entraîner vers lui. De l'autre main, il revint effleurer sa taille. Avec un corps pareil, se tenir trop longtemps à distance tenait de l'impossible.

La vue avait tout pour plaire, il aurait été difficile de le nier. Son corps, les quelques frissons qu'il arrive à faire naître juste en l'effleurant, mais aussi le regard intense qui ne semble pas vouloir se détacher de lui. Et si une part de lui lui soufflait de fermer les yeux pour profiter du contact de ces mains qui passèrent dans ses cheveux puis le long de son corps, Dorian ne parvenait pas non plus à s'y résoudre. Il absorbait chaque image avec la même intensité que les picotement qui parcouraient sa peau partout où l'incube posait ses mains.

Un frisson d'anticipation les remplaça tandis que la boucle de sa ceinture perdait sa place. Le regard rivé dans celui d'Ian, il ne l'en détacha que pour suivre les mouvements de ses mains qui s'attaquaient à son pantalon. Son ventre se creusa de désir et d'une forme d'impatience, un discret tremblement s'imprima dans son souffle.  Dorian déglutit en s'enfonçant inconsciemment plus dans les coussins du canapé, une main se crispant dans le tissu près de ses jambes dénudées. S'il aurait dû être évident qu'un homme comme Ian savait à la perfection tirer les ficelles de la tentation, c'était autre chose d'en être la cible ; beaucoup plus intense et plus excitant que de simplement l'imaginer.