Du fond du cœur [feat. Kaylee]

Elle ferme ses yeux, sans quitter son sourire, avant de les rouvrir et je comprends qu’elle me répond par l’affirmative. Mon cœur se remet à accélérer et j’inspire profondément. J’essuie une nouvelle fois mes larmes, toujours souriante. J’ai vraiment une seconde chance ? Pour de vrai ? Elle me pardonne alors ? Malgré ma bêtise ? Bien qu’elle risque souvent sa vie pour moi ? Malgré mes défauts ? Je glousse encore et doucement, j’écarte sa main pour pouvoir me faire une petite place près d’elle.

Me glissant avec précaution, je m’allonge contre son flanc, tournée vers elle, posant doucement ma tête sur son épaule pour ne pas lui faire mal. Je lève les yeux vers son visage. Elle est vraiment belle. Et je me suis souvent demandée comment ça se faisait que personne ne l’ait remarqué. Son attitude ne change en rien sa beauté pourtant. Enfin tant mieux, ça m’arrange. J’aime être la seule à le savoir.

- Tu veux dormir ? Ou tu veux que je te parle de moi ? J’ai dit « plus de secret » mais on peut en parler plus tard. C’est comme tu veux.

Si elle veut qu’on parle maintenant, ça me va. Et si elle préfère se reposer, je ne vais pas m’y opposer non plus. Je sais que ce serait mieux qu’elle se repose, mais une petite part de moi n’a pas envie que ce moment s’arrête.

Quand je croise son regard et vois son sourire, je me mets à rougir. Je suis quand même très proche d’elle…non ? Et elle se rapproche encore plus de moi, posant son front contre le mien. Moi qui voulais parler de moi, je me retrouve incapable de dire quoique ce soit. Mon cœur s’emballe et doucement, ma main remonte pour venir caresser sa joue. Mon regard devient sérieux et quand elle rouvre ses paupières, le regard qu’elle me lance me coupe le souffle. Elle a toujours eu ce charisme ? Ce magnétisme ? Ma respiration se fait plus courte, plus laborieuse, et je deviens extrêmement consciente de sa proximité.

Tout passe par son regard. Je ne sais pas si je comprends tout ce qu’elle essaye de me dire mais… j’ai cette envie…cette envie presque irrépressible. Je connais ce sentiment. Je l’ai déjà eu. Silencieuse, le regard rivé sur elle, je me redresse lentement, mes doigts se glissent dans ses cheveux alors que j’approche mon visage du sien, fermant les yeux. Je sens son souffle contre ma peau et lentement, je cèle mes lèvres aux siennes.

Et d’un coup je me retrouve transportée. Dans ses bras qui étaient d’abord réticents puis demandeurs. Je retrouve toutes ses sensations que je n’avais pas ressenties depuis un moment. Depuis ce moment-là. De nouveau, il n’y a plus que nous deux. Et comme à chaque fois qu’on s’embrasse, tout devient évident.

Kaylee n’a pas d’âme sœur, elle n’est liée à personne. Mais ce que je me demande c’est…si je n’étais pas devenue un cupidon. Si j’étais devenue autre chose. Une chose qui n’a pas à dire adieu à l’amour. J’aurais sûrement une âme sœur. Je serais sûrement liée à quelqu’un moi aussi ! Et cette personne, qu’est-elle devenue ? Son lien s’est accroché à quelqu’un d’autre ? Ou a-t-il simplement disparu ? Quand j’y pense… que j’embrasse Kaylee… que je me rends compte de toutes ces sensations… de toutes ces évidences… Je me dis qu’elle est peut-être bien là, mon âme-sœur disparue.

Je sens sa main venir à ma taille pour me rapprocher d’elle faiblement et je suis prise de nouveaux frissons. Je reste encore un peu avant de me décoller doucement, les yeux toujours fermés, la sensation toujours présente sur mes lèvres. Ma respiration reprend petit à petit son rythme normal et j’ouvre les yeux. J’observe son visage, le caresse du bout des doigts. Elle a repris des couleurs. Je me mets à sourire tendrement et reviens me blottir contre elle.

Je me sens bien.

Son odeur de soleil emplie mes narines et je me sens à nouveau entière. Je me sens si bien que parler de moi, dire mes secrets, me vient naturellement. Moi qui ai toujours été si secrète.

- Je suis devenue mannequin à l’âge de 11 ans… Alors que mon truc c'était, et c'est encore, la musique... Je pensais que mon groupe pourrait devenir connu grâce à ça.

Elle resserre doucement son étreinte autour de moi et ça me rassure. Je ne veux pas profiter de sa faiblesse, mais je me dis qu’elle ne pourra pas me couper et ça me motive à continuer.

- J’étais jeune et je ne me rendais pas vraiment compte de ce que ce boulot impliquait. Plus ça allait et plus ça prenait de mon temps. J’étais douée, j’étais demandée. Et rapidement, je n’ai plus eu de temps pour mon groupe ou mes amis… On n’a dû me trouver un professeur particulier pour que je continue mes études.

Je pousse un soupir en repensant à cette période. J’étais si seule. Et c’est à partir de là que tout a empiré…

- Après ça, j’ai perdu tous mes amis et la fille dont j’étais amoureuse à l’époque. Alors je me suis focalisée sur ce qu’il me restait…le mannequinat. Mes parents m’ont forcé à cacher mon attirance pour les filles, par peur que ma popularité tomberait… J’ai perdu confiance en moi et en mon corps en voyant les retouches incessantes que l’on faisait sur mes photos… J’ai perdu du poids… Et peu importe le nombre sur la balance, ça ne suffisait jamais…

Je me tais un instant. J’inspire profondément, tremblante. Je n’ai jamais vraiment parlé de ça, à personne. Même pas à mes parents. Ça se voit, ça se sait sûrement. Mais je ne l’ai jamais dit à voix haute…

- Alors j’ai commencé à me faire vomir…

C’est dit. Je l’ai affirmé pour la première fois à quelqu’un. Peu importe mon corps ou mon poids, quand je me regarde dans un miroir, je me vois grosse, je vois les retouches que l’on pourrait faire. Affiner les cuisses, effacer les imperfections de peau, effacer mes os saillants, etc. Et en vomissant, j’essaye de me rapprocher de leur idéal sans y arriver…
Je sens sa main dans mon dos, serrer doucement mon haut, et je me blottis un peu plus contre elle. J’ai besoin de son soutien. Jusqu’à maintenant, je pensais pouvoir me débrouiller seule… Mais plus je lui en parle, plus je me rends compte que j’avais besoin de vider mon sac.

- À partir de là…je suis devenue anorexique. Dès que je mange une feuille de salade, j’ai l’impression de prendre 10 kg. Je me regarde dans un miroir et je vois tout ce qu’ils pourraient retoucher… Ça me hante…

Je cache mon visage dans son cou, me concentrant sur son odeur pour m’apaiser.

- Et en parallèle… j’ai commencé à être demandée pour des téléfilms. J’étais jeune mais on me demandait souvent d’embrasser des garçons… Je voyais la satisfaction dans leur regard… Certains en profitaient… Ça me dégoûtait… J’ai demandé à mes parents si je pouvais arrêter mais ils me disaient que je ne pouvais pas abandonner, et que les gens pourraient se mettre à douter de ma sexualité, si je ne le faisais pas…

Ses caresses dans mon dos me calment, m’apaisent. Ma respiration se stabilise et je me détends dans ses bras. Je vais mieux maintenant. Je ne suis plus seule, je n’ai plus à être quelqu’un d’autre. On m’accepte telle que je suis. Même si je sais qu’elle a parfois du mal, Kaylee m’accepte comme je suis. Je n’ai plus besoin de me cacher.

- Les producteurs aussi se sont mis à profiter d’ailleurs… Ils ne m’ont rien fait ! Rassure-toi. Mais je voyais leurs regards… Je n’étais qu’un produit qui leur ramenait de l’argent… Ils étaient tous pareils. Alors je me suis mise à les détester. Je détestais qu’on me fasse embrasser des types répugnants alors que j’avais 14 ans, et tout ça pour de l’argent…

Je me crispe et grimace en y repensant, puis je reprends.

- Les garçons sont répugnants… imbus d’eux-mêmes et manipulateurs… Surtout les riches. Enfin… J’étais seule…manipulée…anorexique…interdite d'être moi-même... et tout ça m’a plongé dans la dépression… j'ai perdu confiance en moi. Alors on m’a envoyé ici. Pour me soigner… Voilà… Tu sais tout.

Je me redresse pour plonger mon regard dans le sien. Je veux savoir ce qu’elle en pense, et je sais que je le verrais dans ses yeux. Je l’ai sentie à travers ses gestes, mais son regard m'en dira plus. À présent, elle en sait plus que n’importe qui. Plus même que mes parents qui n’ont que des suppositions.

Le silence s’installe alors que je l’observe. Je suis un peu mal à l’aise. Même ma psy ne sait pas tout ça. Je n’ai jamais eu l’envie d’en parler. Mais avec l’altercation entre Kaylee et moi, j’ai compris qu’il fallait qu’elle sache pour qu’elle me comprenne. Sans ça, on n’aurait pas pu avancer. C’était donc nécessaire. Mais son silence me perturbe. Je ne la quitte pas des yeux et me mord doucement la lèvre. Mais… soudainement, je me fige.

- Kaylee ?

C’est…une larme ? C’est vraiment une larme que je vois couler sur sa joue ? J’écarquille les yeux. Je ne l’ai jamais vu pleurer ! Pourquoi ? Je… je ne comprends pas… Je… Je n’ai pourtant pas une vie si… C’est en le disant et avec la réaction de celle que j’aime, que je me rends compte de l’impact de mes paroles. Non… Je n’ai pas eu la meilleure vie qui soit… Mais maintenant ça va !
Doucement, je viens récupérer la larme du bout des lèvres. Et la seule chose que je suis capable de faire, c’est lui sourire tendrement. Je viens caresser son visage avec douceur. J’aime pas la voir pleurer…

- Mais maintenant ça va ! Je peux enfin être moi-même ! J’ai des amis et une fille que j’aime. J’ai parfois peur de guérir parce que je sais qu’aussitôt ce problème réglé, j’y retournerais, et je ne veux pas. Mais je suis heureuse !