La force des sentiments [Weiss et Melo]

Les non-dits viennent toujours nous heurter aux pires moments spécialement lorsqu'ils nous sont intimes. Je l'ai compris à mes dépens. J'étais assise en classe, surveillant d'un air distrait le manège des secondes qui s'écoulent lorsque du bruit s'était fait entendre dans le couloir. Non pas des conversations mais du tumulte palpable. Trop peu concernée par tout cela, je n'avais pas prêté attention mais une parole, quelques mètres derrière moi, avait tout déclenché.

-"Tu as vu? Une nana a été blessé grièvement dans la salle d'à côté.. Ils ont dû l'emmener avec son piaf à l'infirmerie.."

Mon sang ne fit qu'un tour alors qu'un semblant de tremblement avait commencé à me gagner. "Sang". "Piaf". "Blessé". Les mots résonnaient dans mes oreilles alors que le lien se faisait dans mon esprit. Mon corps réagit alors sans mon consentement: je me levais d'un bond, percutant ma table dans mon élan, en claquant des doigts pour stopper le cours du temps avant de franchir la porte en toute hâte. Seul le fracas de ma table sur le sol m'indiqua que le temps reprenait son cours dans ma classe.

J'arrivais après une courte course dans le couloir de l'infirmerie et la silhouette familière de son ami suffit à confirmer mes craintes. Je sentais alors une colère irrépressible me gagnait. Il avait été là et... Je serrais le poing à cet idée.

-"Toi j'ai deux mots à te dire !"

Je traversais d'un pas déterminé le peu de distance qui me séparait du jeune homme, déjà excédée par sa réponse, avant de me planter face à lui. Il ne semblait pas porter grand intérêt aux événements de la journée tant il apparaissait calme et stoïque. Est-ce qu'il avait conscience qu'à cause de sa négligence Weiss était dans un triste état? Je tournais mon regard un quart de seconde pour regarder la porte de l'infirmerie. Je ne savais que peu sur son état ,juste une bride d'information mais même si je m'inquiétais à son sujet ;l'inquiétude et la fureur que je ressentais avaient besoin de s'exprimer : il serait mon bouc émissaire. Au diable! Il était le seul responsable de cet accident par son inaction. Je le giflais sans vergogne avant de le saisir par le col de son uniforme et me décharger sur lui.

-"Non tu me connais pas ! Je préférais aussi que tu ne connaisses pas Edelweiss ! Tu as vu dans quel état elle est ! Putain ! Tu n'aurais pas pu empêcher ça ?! Tu n'as donc aucune affection pour elle ?!" fis-je en sentant les larmes me monter aux yeux.

C'était un état nouveau pour moi : je n'avais jamais prêté autant d'importance à quelqu'un d'autre que ma sœur. C'était comme si mon cœur se déchirer.. Je voulais simplement qu'elle aille bien, rester auprès d'elle..

Il ne lui fallut pas longtemps pour écarter ma main de son col. Peut-être aussi que je n'avais plus vraiment l'envie de passer mes nerfs? Si, c'était toujours le cas mais je ne savais plus puiser mes forces dans mon inquiétude alors qu'il me suffisait d'une porte à franchir pour balayer ce sentiment. Sa réponse vint cependant donner de l'eau à mon moulin. Hurler sur la personne responsable? Je ferais bien pire mais là n'était pas la question. Il ne se prétendait pas responsable, pire encore, il la renier à demi mot? Ce mec ne valait vraiment rien. Toujours à abuser du temps de Weiss avec ce sourire froid et dans son infinie gentillesse, Edelweiss pardonnait tout ses outrages... Il était aussi responsable. Il aurait pu la protéger.. La protéger? Non, il en était incapable.. Elle était une reine et quitte à devoir en pâtir, je serais son bouclier. Je n'avais pas de temps à perdre avec lui, comme il n'en avait pas à perdre avec moi. Soit. C'est presque avec une immense lassitude que je concluais cette joute verbale de quelques mots.

-"Casse toi tu veux.. Casse toi ça vaut mieux.."

J'avais les doigts qui me démangeaient. Je pouvais.. Non je n'utiliserais pas mes pouvoirs. Je poussais doucement la porte, sans plus lui prêter la moindre attention, pour rejoindre ce petit être fragile et blessée. Va juste bien..

J'entrais en silence dans l'infirmerie pour contempler un spectacle qui m'enserrait le cœur. Edelweiss était allongée là, appareillée tandis qu'une poche de sang était reliée à son bras par un mince tuyau en caoutchouc. L'infirmière me fit mine de garder le silence par un geste équivoque alors que j'approchais à pas de loup. Je ne m'interrogeais même pas sur la manière dont elle pouvait savoir l'objet de ma visite : j'étais bien consciente que la moitié de l'établissement devait le savoir vu le ton que j'avais employé envers ce mec. Je me posais à demi sur son lit, tandis que je contemplais son visage endormie. L'infirmière sembla vouloir nous laisser seules car elle s'éclipsa en moins de temps qu'il le fallait pour le dire. Le silence, entrecoupé par les bips du moniteur, devint alors mon seul compagnon pour affronter la réalité des faits et l’abîme de doutes qui commençait à me submerger. Je caressais du bout des doigts sa joue tout en essayant de me détacher de cette image, cette crainte que j'avais eu pendant toute ma course effrénée, cette impression horrible semblable à se voir privé d'une partie de soi. Je n'avais pas de mots pour décrire ce sentiment atroce alors je préférais me glisser auprès d'elle et l'enserrer délicatement de mes bras. Peut-être qu'ainsi le temps cesserait d'être et elle ne craindrait plus rien..

Il est si ironique d'être la maîtresse d'un pouvoir comme celui du temps et d'en être à la fois l'esclave, priant ce dernier de s'interrompre pour que plus rien ne vienne blesser un être que l'on chérit plus que d'usage. Un constat d'impuissance plus violent encore que pour nombres d'autres. Le spectre de l'impuissance, celui de l'échec, le même que celui qui avait pris ses marques dans ma tête pour balayer mes succès lorsque j'avais appris le tourment de mon aînée. J'avais échoué en tant que sœur. Je venais d'échouer à nouveau en tant qu'amie. Cela devait-il être aussi violent? Devais-je sentir mon cœur s'arrachait de ma poitrine sans aucune forme de réconfort? Étais-ce l'amitié? Je n'avais pas ressenti ça lorsque Nia s'était blessé en sport pourtant c'était le même échec. Putain pourquoi n'avais-je pas envoyé balader mes affaires plus tôt pour lui éviter cette plaie que je fixais en tremblant d'effroi. C'est sa première plainte qui vint m'extraire de ces pensées désagréables qui tournoyaient dans mon esprit sans me laisser de répit, me paralysant à demi. Je me décollais doucement d'elle sans briser ce contact qui, à défaut de la sauver, parvenait à apaiser mes tremblements et mes craintes : elle ne se volatiliserait plus de la sorte. Elle semblait dormir. Je déposais un petit baiser sur son front avant de lui murmurer, la voix tremblante.

-"Pourquoi Edelweiss... Ne fais plus jamais ça.."

Un abîme de ténèbres et de vide. Un torrent de questions sans réponses et d'incompréhension. Un chaos sans nom comme si des petits êtres se disputaient le contrôle de mes pensées. Je restais immobile, à moitié effondrée sur la jeune fille inconsciente, paralysée par la déchirure qui venait de marquer mon cœur à jamais, paralysée au point de ne pas entendre les quelques brides de parole de la demoiselle. Une question me hantait alors: Pourquoi? Je n'ai jamais ressenti que du désintérêt pour mes congénères, mes collègues, même mes amis... Pourtant.. Quelque chose était advenu sans que je ne puisse l'identifier: j'étais tout simplement incapable de me détourner de la petite princesse allemande, incapable de m'écarter d'un iota, incapable de ne pas la couvrir de mes bras. Je ressentais quelque chose de spécial, de précieux pour elle. J'en étais consciente, consciente de ressentir une amitié sincère, sans fard, sans façade, là où j'étais incapable de laisser filtrer une parcelle de la véritable moi en temps normal. Non ce n'était pas ça. Weiss faisait fondre mes barrières. Weiss était spéciale. Un rayon de lumière dans une nuit sans fin. Un rayon de lumière pour lequel roulait ,pour la seconde fois de mon existence, des larmes sincères sur mes joues. L'évidence était là. Ce n'était pas qu'une amie..

-"Wan chelai Edelweiss.." fis-je, la voix embuée de larmes.

Enfin..

Certains mots sont plus lourds que d'autres, certaines révélations plus complexes que d'autres, certains sentiments sont plus sauvages que d'autres. Je venais de l'apprendre à mes dépens. A peine avais-je touché l'évidence du bout des doigts qu'un tsunami de sentiments contraires vint m'envahir. Je n'ai jamais aimé. Je ne sais pas ce que c'est. L’amour est pour les enfants naïfs. Comment pourrait-on vouloir de quelque chose d'aussi fugace et vagabond? Quelque chose qui peut nous arracher le cœur à la moindre facétie? Je n'ai jamais compris ce fil invisible qui semblait tenir mes parents ensembles au delà de la compréhension. Je.. Je suis pourtant certaine de.. Je n'eus pas le temps d'approfondir mes pensées qu'un contact subtil sur ma joue me tira de mes rêveries, m'offrant au demeurant un instant de répit. Weiss était réveillée?! Je saisissais à la volée sa main entre les miennes tout en me penchant sur elle, inquiète. Elle semblait souffrir plus que mon cœur ne pouvait l'accepter. : ce dernier se mit à se serrer au point de me faire mal comme si je partageais sa douleur, comme si cette nouveau sentiment que je parvenais enfin à nommer m'avait changé en une extension d'elle.. Oui je l'aime.. Le chaos de mes émotions profita de l'occasion pour refaire irruption et c'est le front contre le sien, sanglotante, que je m'adressais à elle.

-"Espèce d'idiote!!... J'ai cru te perdre..."