Remise des diplômes 2020

La remise des diplômes. Enfin. Depuis le temps que j'attends de pouvoir me libérer des cours, et surtout des règles, de cette foutue école. Plus besoin de croiser tous les abrutis qui me les brisent, encore moins ceux de ma classe - parce que bon, Drake mis à part, les autres sont quand même bien facilement chiants aussi, hein, on va pas se mentir. Et surtout, plus besoin de me cacher. Je n'aurais plus à faire attention à chaque fois que je croise Lance quelque part, de peur qu'un surveillant, un prof ou pire, le blondinet qui nous sert de directeur, puisse nous voir ou nous entendre. Et ça, c'est génial. Assez pour me mettre de bonne humeur. Je m'en fiche un peu d'être celle avec les pires résultats de toute la promo, une seule chose compte : le "pass" écrit en vert sur mon relevé de notes. Celui qui m'affirme que je n'aurais pas besoin d'une année supplémentaire dans cet endroit.
Ironique vu que je vais vivre ici, mais bon, c'est différent.

Je me sens bien. J'ai l'impression qu'on vient de me libérer de dizaines de poids en même temps. Entendre mon nom dans ce micro, c'est comme entendre le cliquetis des clefs d'une cellule. Je peux même dire que je souris, quand je me lève. Même passer juste après Drake et le croiser ne peux pas enrayer ma bonne humeur. De toute façon, je ne le reverrai jamais. Le regard que je lui lance en passant à son niveau est loin de la haine qui y a brillé toute l'année. Pas que je prenne ses excuses comme m'étant adressées - et même si c'était le cas, je suis pas sûre que je les aurais considérées sérieusement - mais juste parce que, pour une fois, je n'ai pas envie de m'épuiser dans de la colère. Pas besoin, non plus.

Refermer ma main sur ce diplôme, ça fait quand même un drôle d'effet. Je n'ai pas spécialement de projets d'avenir - difficile, quand on est morte, même si je sais que je pourrais sûrement trouver quelque chose dans la cité cachée - et ce n'est pas le papier en soi. C'est juste... de me dire que toutes les années que j'ai passées ici sont finies. Ça fait bizarre. Assez bizarre pour que j'aie commencé la journée avec un élan de confiance en portant une robe qui ne m'arrive qu'au milieu des cuisses au lieu d'un jean et d'un pull pour me cacher. Assez bizarre, aussi, pour que l'idée d'être au centre de l'attention ne me donne pas de sueurs froides et que je m'approche du micro.

- Je vais être franche : j'ai détesté cette école pendant quasiment tout le temps que j'y ai passé. Pourtant, au final, si elle n'existait pas, je ne serai même pas là. S'Indarë m'a sauvé la vie... bon, presque, vu qu'elle m'a quand même laissée mourir.

Pourquoi je fais ça ? Aucune idée. Pour avoir vraiment l'impression que c'est fini, peut-être.

- J'ai erré dans cette école en bonne fantôme jusqu'à ce qu'on ne me laisse plus le droit de l'être, pour m'attribuer un titre de reine des Envy donc je me serais bien passée. J'ai failli re-mourir plusieurs fois, d'ailleurs. Probablement failli tuer certains d'entre vous aussi. Je dirais pas que vous l'aviez pas cherché. Je suis même très contente de ne plus jamais avoir à vous voir.

Si c'était à refaire, je le referai sans hésiter. Certains auraient même mérité que je frappe plus fort.

- Je ne vais pas m'excuser pour ça. Par contre, si je dois admettre une fois dans ma vie que Drake a raison, c'est bien sur ça : vous allez devoir vous accrocher pour faire pire que nous.

Pour la première fois, j'étais encline à croire tous les profs qui nous avaient qualifié de "leur pire classe". Entre moi et Drake qui nous battions dès qu'on avait la moindre occasion, Krystal qui avait passé deux ans à la tête du conseil et qui essayait toujours de sauver tout le monde, Niels qui avait agressé Leika et qui, avant ça, paradait partout comme si le monde lui appartenait, et la plâtrée de rumeurs qui s’additionnaient à tout ça pour l'amplifier et l'empirer, je suis pas sûre que qui que ce soit dans cette école n'ait pas entendu parler de notre classe. Ça va leur faire un vide, tiens, quand on ne sera plus là.

- N'essayez même pas.

Avec un petit sourire sarcastique, je repousse une de mes couettes derrière mon épaule avant de descendre de l'estrade. Bon, ça ressemble peut-être plus à un défi qu'autre chose et je suis désolée d'avance si ça donne plus de taf aux surveillants de l'école, mais je serai là pour réconforter le seul qui m'importe, alors tant pis pour les autres. Après la remise des diplômes, je vais pouvoir débarrasser ma chambre et avoir enfin mon chez moi, seule, sans colocataires et sans douches communes, sans couvre-feu et sans restriction.
Je suis enfin libre.